Les faits
« Le Monde » révèle comment ces milliers de pages, dont la partie manquante de « Casse-Pipe » et un roman inédit, disparues en 1944 étaient depuis quinze ans en possession d’un ancien journaliste de « Libération ». Elles devraient être publiées prochainement par Gallimard.
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L’histoire est rocambolesque, autant que les circonstances dans lesquelles ces manuscrits avaient disparu, probablement lors de la libération de Paris en 1944. À l’époque, sentant le vent tourner, Louis-Ferdinand Céline, dont les fameux pamphlets antisémites avaient été republiés pendant l’Occupation, avait déjà filé avec sa femme Lucette en direction de Baden-Baden puis de Sigmaringen, laissant l’appartement de la rue Girardon à Montmartre tel quel avec des milliers de pages manuscrites posées sur une armoire.
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Longtemps, l’écrivain a clamé que des « pillards », ainsi qu’il qualifiait les libérateurs, lui avaient dérobé de précieux manuscrits dont celui de son roman Casse-Pipe qui devait constituer un triptyque avec Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. Mais malgré les recherches entreprises après sa mort pour en retrouver la piste, ceux-ci semblaient avoir disparu à jamais dans le chaos de l’histoire.
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Un trésor littéraire inestimable
Le quotidien Le Monde a révélé mercredi 4 août les circonstances dans lesquelles ces précieux papiers ont refait surface en 2019 grâce à un journaliste qui les avaient en sa possession depuis plus d’une quinzaine d’années. Jean-Pierre Thibaudat, ancien critique dramatique de Libération, a expliqué que ces documents lui avaient alors été remis par un lecteur à la condition expresse ne pas les rendre publics avant la mort de la veuve de l’écrivain, Lucette Destouches, décédée le 8 novembre 2019 à l’âge de 107 ans.
Le trésor est inestimable. Selon le journal, il y aurait bien parmi ces feuillets les pages manquantes de Casse-Pipe, le manuscrit jusque-là introuvable de Mort à Crédit, un roman inédit intitulé Londres et d’autres écrits et documents. Après un bras de fer judiciaire avec les deux ayants droit de la veuve de Céline, le journaliste a finalement restitué en 2020 ces documents à la justice qui les a fait expertiser avant de les remettre aux héritiers. François Gibault avocat de 89 ans, biographe de référence de l’écrivain, et Véronique Chovin, une amie de la vieille dame devraient les confier à Gallimard pour publication.
Un mystérieux donateur
Mais qui était le mystérieux donateur ? Le journaliste n’a pas voulu le révéler se réfugiant derrière le « secret des sources ». Plusieurs hypothèses, raconte le journal, avaient été avancées sur l’auteur de ce vol. Le nom d’Oscar Rosembly a été évoqué par Céline lui-même. Ce juif corse, réfugié pendant la guerre chez le peintre Gen Paul, ami et voisin de l’écrivain, avait réapparu en FFI à la Libération et aurait perquisitionné plusieurs appartements de célébrités avant de faire de la prison. Yves Morandat, résistant proche de Jean Moulin, qui avait réquisitionné l’appartement de la rue Girardon et y a vécu ensuite plusieurs années aurait pu les avoir eus en sa possession. Ou bien s’agit-il d’un autre de ces « libérateurs » de la butte Montmartre dont les descendants auraient hérité des précieux documents ? On ne le saura peut-être jamais. « Avoir enfin entre les mains ces pages noircies par Céline est très émouvant, a confié François Gibault au Monde. Une fois de plus, même si beaucoup en doutaient, Céline avait dit vrai : on lui avait bien volé ses manuscrits à la Libération. »
Des milliers de feuillets inédits de Louis-Ferdinand Céline retrouvés, « un événement extraordinaire », pour ses ayants droit
Des milliers de pages manuscrites de Louis-Ferdinand Céline disparus à la Libération ont été récemment redécouverts.
Ce sont des milliers de feuillets inédits, volés en 1944 dans l’appartement de l’écrivain collaborationniste Céline, qui viennent d’être retrouvés, comme l’a révélé le quotidien Le Monde. Au cœur de ce rebondissement, un ancien journaliste de Libération. Il a vécu dans le secret pendant des années. À l’époque où il travaille pour le quotidien, avant 2006, Jean-Pierre Thibaudat est contacté par une mystérieuse personne qui souhaite lui transmettre des documents ayant appartenu à Louis-Ferdinand Céline.
Le journaliste se voit alors remettre plusieurs sacs contenant des milliers de feuillets contre une promesse : ne pas les rendre publics avant la mort de la veuve de Céline, Lucette Destouches. À sa disparition en novembre 2019, l’avocat de Jean-Pierre Thibaudat prend contact avec les ayants droit de Lucette Destouches : Véronique Chovin et François Gibault, avocat et écrivain. « J’ai été évidemment très surpris, raconte François Gibault. C’est un événement extraordinaire. »
« Cela fait des années que nous cherchons la trace de ces documents qui ont disparu, qui ont été volés. »
François Gibaultà franceinfo
Dans ces milliers de feuillets, il y a des inédits, des premières versions, « tout un travail va devoir être fait car le volume est considérable », juge François Gibault. « Pour ‘Mort à crédit’, il y a 1 600 pages, quelque chose comme ça, je ne sais pas si vous vous rendez compte. »
« C’est indiscutablement un trésor », a réagi sur franceinfo pour sa part Émile Brami, auteur de plusieurs ouvrages sur Louis-Ferdinand Céline. « Il y a des romans, il y a une nouvelle, des inédits, des lettres, même des documents comptables. »
Une incroyable réapparition
Outre la version manuscrite de Mort à crédit, il y a également, selon la liste faite par Jean-Pierre Thibaudat sur son blog, près d’une dizaine de textes dont Londres, un manuscrit totalement inédit et un nombre conséquent de séquences inédites de Casse-pipe, roman que Céline a toujours présenté comme incomplet, accusant ceux qu’il appelait « les épurateurs » de l’avoir détruit. « Il a déclaré dans des correspondances, dès 1945, qu’un vol avait eu lieu chez lui, et il a décrit les manuscrits, et c’est exactement les manuscrits décrits par Céline que l’on retrouve », observe François Gibault.
« Cela va permettre d’éclairer d’une manière pas forcément différente mais tout à fait nouvelle ce que nous savons aujourd’hui de Céline. »
Émile Bramià franceinfo
Le roman Casse-pipe « a été édité à partir d’un tapuscrit qui a été retrouvé par la secrétaire de Céline et qui, une fois imprimé en gros caractères, fait une centaine de pages », relate Émile Brami. Pour lui, « il est probable que ce qui sera publié comme étant le ‘Casse-pipe’ plus ou moins entier va faire 400-450 pages, c’est-à-dire qu’on ne connaît grosso modo qu’un quart de ‘Casse-pipe' ». Car Céline affirmait avoir rédigé ce roman en entier, un roman qui est le « chaînon intermédiaire » entre deux œuvres célèbres de l’écrivain, Mort à crédit et Voyage au bout de la nuit.
Des feuillets qui intéressent les éditeurs
Si le manuscrit de Mort à Crédit a de bonnes chances de faire l’objet d’une donation à la Bibliothèque nationale de France, les autres textes suscitent l’intérêt des éditeurs, comme le confirme François Gibault. « J’ai eu Antoine Gallimard tout à l’heure, qui est évidemment intéressé, je suis également sollicité par d’autres éditeurs, il est certain qu’un gros travail va être fait et qu’il y aura des compléments d’édition. »
Désormais, « on a quasiment toutes les facettes de l’œuvre de Céline », assure Émile Brami. « Il y a semble-t-il des documents qui ont servi à l’écriture des pamphlets antisémites. Il y a aussi, manifestement, une correspondance avec Robert Brasillach [un auteur collaborationniste, figure de l’antisémitisme français]. » Mais selon le biographe, « il ne faut pas réduire Céline à seulement ça, c’est aussi un immense écrivain. » Mais les admirateurs de Céline devront encore patienter quelques mois avant de se plonger dans ces inédits.