PUTSH EN GUINEE-CONAKRY : L’ANALYSE DE YORO DIA, POLITOLOGUE

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Portrait de Yoro Dia © Malick MBOW
Portrait de Yoro Dia © Malick MBOW

C’est une nouvelle page qui se ferme en Guinée avec le départ forcé du Président Alpha Condé du pouvoir renversé hier par les forces spéciales.

FALLOU FAYE  |   Publication 06/09/2021

C’est une nouvelle page qui se ferme en Guinée avec le départ forcé du Président Alpha Condé du pouvoir renversé hier par les forces spéciales. Une situation qui va changer les relations entre la Guinée et ses voisins, comme le Sénégal. Mais pour éviter que cela ne fasse des émules dans la sous-région, le politologue Yoro Dia fait savoir que la meilleure façon de ne pas avoir ce qui se passe en Guinée, c’est que l’élite au pouvoir joue le jeu de la démocratie.

Près d’un an après sa réélection contestée pour un troisième mandat, le Président Alpha Condé a été renversé par les Forces spéciales de l’Armée guinéenne. Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle en Guinée ?

Il faut faire une lecture beaucoup plus globale de ce qui se passe en Afrique de l’ouest en termes de démocratie. On a eu le même phénomène au Mali, au Burkina Faso et en Mauritanie. Presque dans tous les pays de la sous-région les processus démocratiques ont connu des ruptures militaires ou anti constitutionnelles. A la chute du mur de Berlin, le Président François Mitterrand a convoqué la conférence franco-africaine de La Baule, le 20 juin 1990, en disant aux chefs d’Etat africains, tant qu’on était dans la Guerre froide, on pouvait tolérer un certain nombre de manquements démocratiques, parti unique, coup d’Etat, etc. parce que  l’Afrique était un enjeu stratégique pour endiguer le communisme.

Pour empêcher que les pays ne basculent dans le camp communiste, on tolérait beaucoup de manquements à la démocratie. Maintenant que le mur de Berlin  est tombé,  la marche forcée vers la démocratie s’est imposée et pour beaucoup de pays, le point de départ fut le sommet de La Baule. Et les chefs d’Etat africains ont accepté de jouer le jeu, tout en rusant avec les règles du jeu. Dans tous ces pays, on a les médias libres, une opposition parlementaire, etc. C’est une sorte de ruse politique parce que  la démocratie ce sont surtout des élections libres et sincères. En Afrique aujourd’hui, nous avons partout des médias libres, une opposition parlementaire, il y a un débat politique. Mais l’âme de la démocratie, ce sont des élections. Et dans la plupart des pays africains où nous avons des coups d’Etat et des problèmes politiques, c’est parce que l’élection est un simple mécanisme de légitimation du pouvoir en place. C’est-à-dire que le régime en place verrouille les élections et ne peut pas les perdre parce que c’est une simple formalité légale pour relégitimer le pouvoir. L’élection n’est jamais un mécanisme de remise en jeu du pouvoir. Ce qui se passe en Guinée est très intéressant pour nous parce que la science politique est avant tout comparative. Alpha Condé a la même trajectoire que Abdoulaye Wade. C’est un adversaire historique avec beaucoup de mérite comme opposant, comme Abdoulaye Wade aussi. Condé s’est opposé à Sékou Touré, Lassana Konté, Dadis Camara. Il a été un opposant valeureux, méritoire et historique, mais quand il arrive au pouvoir, au lieu de renforcer la démocratie, il met en place un pouvoir personnel.

Les 26 ans d’opposition de Wade ont permis au Sénégal de faire des bonds en avant en matière de démocratie et de libertés publiques qui ont permis la 1ere alternance. Wade opposant a été un des piliers de l’exception sénégalaise et a permis à la démocratie sénégalaise de fonctionner.  Il arrive au pouvoir, il a fait avancer le pays mais il veut forcer pour un troisième mandat. Alpha Condé arrive et veut faire aussi un troisième mandat. La différence c’est qu’avec Abdoulaye Wade, les Sénégalais ont réglé la question démocratiquement parce qu’au Sénégal, l’élection est un mécanisme de remise en jeu du pouvoir. Mais les Guinéens n’ont pas cette opportunité. En Guinée, en Côte d’Ivoire, au Togo, dans tous ces pays-là, les élections ne remettent pas le pouvoir en jeu, l’alternance est piégée pour parler comme Latif Coulibaly.

Et dans ces pays, pourquoi le pouvoir tombe facilement ?

C’est parce que ce sont des pouvoirs légaux, mais qui ne sont pas légitimes. Aujourd’hui, si Alpha Condé est tombé aussi facilement c’est parce que son pouvoir n’était pas légitime. C’est pourquoi, il faut mener une réflexion beaucoup plus profonde, compte tenu des conséquences et du bilan de la conférence à La Baule et de notre rapport aux élections. Dans une démocratie normale, il n’y a pas de coup d’Etat ni de révolution, tout simplement parce qu’il y a l’alternance. L’alternance est la respiration démocratique. Mais quand on est dans un pays où on bloque l’alternance, ou on trouve des émeutes qui font tomber le pouvoir, ou bien on a un coup d’Etat, c’est qu’il n’y a pas une démocratie normale. Donc si le Sénégal est différent de ces pays-là, nous le devons au Président Senghor. Dans ses mémoires, le Président Abdou Diouf rapporte les propos de Senghor, il dit : «Si vous voulez avoir une grande armée, une armée républicaine, il faut recruter vos militaires là où vous recrutez vos administrateurs civils.» Aujourd’hui, l’avantage du Sénégal, c’est que dans notre pays, on a une Armée républicaine. Les histoires de coup d’Etat ne traversent même pas l’esprit de nos militaires. Dans tous les pays où on voit des coups d’Etat, ou des pouvoirs qui tombent à la suite d’émeutes, c’est parce que le ver est déjà dans le fruit avec l’élection. Condé a été élu et réélu démocratiquement, mais les problèmes ont commencé avec le forcing du troisième mandat. L’alternance est nécessaire dans tout système démocratique.

Est-ce que c’était prévisible avec les manifestations et les morts qui ont accompagné la campagne pré-électorale et même le scrutin ?

La question que les gens doivent se poser, c’est pourquoi après le coup d’Etat, Conakry est calme ? L’élection sert à légitimer un pouvoir en place. Un pouvoir ce n’est pas seulement la légalité, c’est aussi la légitimité. Malheureusement la plupart des dirigeants africains se limitent uniquement à la légalité. On a le pouvoir de modifier légalement la Constitution, on le fait. Mais pour Alpha Condé, il n’a pas modifié la Constitution pour limiter le mandat pour le principe, mais il l’a fait pour remettre le compteur à zéro pour briguer un troisième mandat. Et Alpha Condé, Professeur de Droit, qui tripatouille la Constitution  n’était pas mieux placé que le Colonel qui «suspend»  quand il s’agit du respect de la Constitution. La facilité avec laquelle les Présidents changent les Constitutions et la rapidité avec laquelle les putschistes les «suspendent» montrent que dans nos pays aussi longtemps qu’on ne stabilise pas les règles du jeu constitutionnel, il y aura pas de stabilité politique. Ce sera un éternel recommencement.

Mais le coup d’Etat a été fait par les Forces spéciales créées par le Président lui-même en 2018. Et Condé avait fermé les frontières avec plusieurs pays depuis sa réélection ?

La meilleure chose qui nous soit arrivée au Sénégal, c’est d’avoir un président de la République comme Léopold Sédar Senghor. Il nous a laissé un Etat et une Armée républicaine. Les militaires que nous avons, c’est des officiers avec des Bac+4 et même plus. Et c’est très important. Mais le fait qu’Alpha Condé soit allé chercher un ancien de légion étrangère pour en faire le chef des forces spéciales, montre deux choses. Ça montre l’estime et la peur qu’il a pour son armée, mais aussi surtout sa volonté de transformer les forces spéciales  en milice pour sa sécurité personnelle et une force dissuasive contre les coups d’Etat comme l’avait fait Blaise Compaoré avec son RSP (Régiment de sécurité présidentielle). Le fait d’aller chercher un élément de la Légion étrangère et le parachuter comme chef des forces spéciales montre naturellement qu’il n’est pas légitime. Le fait de confier à ce Colonel les forces spéciales montre aussi qu’il a dévoyé la mission des forces spéciales pour en faire un truc de sécurité personnelle. Et quand tu es président de la République et que tu transformes une partie de l’armée en gardes prétoriennes pour des raisons électorales ou ethniques, tôt au tard, ça va se retourner contre toi. Souvent en Afrique, quand un chef d’Etat arrive, il fait des troupes d’élite de l’armée, une milice personnelle ou tribale. C’est ce que nous avons au Tchad et aujourd’hui en Guinée. Si un Président a la  légitimité populaire, les militaires vont toujours réfléchir deux fois avant de s’embarquer dans l’aventure du coup d’Etat. Si Alpha Condé était légitime et populaire, on allait assister à des manifestations contre les putschistes à Conakry comme les Turcs pour faire échouer le coup d’Etat du 14 juillet contre Erdogan. Par contre, on assiste à une sorte de soulagement en Guinée. Ce qui est dramatique pour le parcours historique de Condé.

Quel impact pour le Sénégal sur le plan diplomatique comme militaire ?

Alpha Condé n’a jamais aimé le Sénégal. Condé a passé tout son temps à régler des frustrations d’étudiant qui remontent aux années 50 avec le Sénégal comme le fait d’avoir fermé arbitrairement la frontière et de se réjouir des émeutes qui se sont passées au Sénégal en mars dernier. Il n’a jamais aimé le Sénégal. En Afrique de l’ouest, nous sommes dans une instabilité permanente et avec un éternel recommencement. Il faut qu’on réfléchisse sur le processus de démocratisation qu’on avait commencé avec la conférence de La Baule. La principale leçon qu’il faut en tirer est qu’en Afrique de l’ouest c’est dans quelques rares pays où le processus électoral se passe normalement. Le Sénégal, le Cap Vert, le Bénin et le Ghana sont les rares pays où le processus électoral se passe normalement. Et ce sont les rares pays où on n’a jamais eu de coup d’Etat comme le Sénégal ou on n’a pas de coup d’Etat comme au Ghana ou au Bénin. Quand l’alternance devient la respiration démocratique, point besoin de coup d’Etat ou de révolution pour changer.

Est-ce que ce qui s’est passé ce matin en Guinée n’est pas une alerte pour le 3e mandat au Sénégal ? 

Non, le Sénégal et la Guinée sont deux pays différents. Le Sénégal a eu la même situation en 2012 avec le Président Abdoulaye Wade qui a voulu un 3e mandat, mais les Sénégalais l’ont réglé de manière démocratique. Le secret du Sénégal, c’est l’élection. Ce n’est pas par hasard que les trois pays les plus stables en Afrique de l’ouest (Sénégal, Cap Vert, Bénin) ne connaissent pas  ou ne connaissent plus de ces coups d’Etat. C’est parce que les élections se passent normalement.

 

Peut-on s’attendre à une décrispation des relations Sénégal-Guinée avec le départ de Condé ?

Mais naturellement. Condé poursuivait le Sénégal d’une haine personnelle et privée. La Guinée et le Sénégal n’ont aucun problème. Mais c’est Condé qui avait un problème personnel avec le Sénégal parce qu’il réglait des frustrations d’étudiant qui remontent des années avant l’indépendance. La Guinée et le Sénégal n’ont jamais eu de problème. La situation va donc s’améliorer parce qu’on ne peut avoir pire que Condé qui, faut-il le rappeler, a servi de rempart et de bouclier à Yahya Jammeh qui a été le pompier pyromane du conflit en Casamance.

Est-ce que les exemples Malien et Tchadien ne vont pas encore faire des émules ?

La meilleure façon de ne pas avoir ce qui se passe en Guinée, c’est de jouer le jeu de la démocratie. La démocratie n’est pas seulement une opposition parlementaire, ni la liberté de presse encore moins les libertés d’opinion. La démocratie c’est permettre une respiration démocratique. Et une respiration démocratique, c’est l’alternance au pouvoir avec des élections sincères et crédibles. Quand l’alternance devient une respiration de la démocratie, on n’a pas de révolution, pas d’émeutes qui renversent le pouvoir, ni de coup d’Etat. Quand vous bloquez l’alternance et vous faites semblant d’être démocrate et que vous truquez les élections mais le pays est bloqué. C’est ce qui est arrivé à Blaise Compaoré hier, à Condé aujourd’hui. Quand on peut changer de pouvoir démocratiquement, on n’a pas besoin de faire de coup d’Etat ou de révolution.

Que pourrait faire aujourd’hui la conférence des chefs d’Etat de la Cedeao ?

A part la condamnation, ils ne peuvent pas faire autre chose. Ils vont condamner pour le principe et demander le retour rapide à l’ordre constitutionnel. Mais depuis ce qui s’est passé au Tchad que l’Union africaine, la France et que le monde entier a avalisé pour la  raison d’Etat au nom de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel, et qu’ils ont fermé les yeux, ils sont très mal placés aujourd’hui pour prendre des mesures. Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures.

Peut-on s’attendre à ce que la nouvelle junte en Guinée lâche le pouvoir au profit des civils ?

Tout dépendra du rapport de force et de la pression internationale mais aussi de l’attitude des Guinéens. A La Baule, la marche forcée vers la démocratie était imposée de l’extérieur, mais depuis que les Burkinabè ont fait leur révolution et chassé le tyran, les peuples d’Afrique ont compris que les causes et les luttes endogènes priment sur tout. Donc l’avenir de la démocratie en Guinée dépend avant tout des Guinéens. D’habitude, quand les gens goûtent au pouvoir, il est difficile de le lâcher. Donc ça dépendra des rapports de force et des moyens de pression. Mais ça doit être une leçon pour les autocrates qui arrivent au pouvoir et qui se maintiennent au pouvoir en ne jouant pas le jeu de la démocratie, et en pensant qu’avec la légalité on peut tout faire. La  loi  comme les baïonnettes, on ne peut pas tout faire avec.

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