Le chef du groupe LREM à l’Assemblée espère élargir la majorité et assure pouvoir compter sur le soutien d’Edouard Philippe. Il dézingue au passage les oppositions.
C’est un pavé dans la marre lancé par François Bayrou à la sortie de l’été. « Seul un mouvement unitaire et large pourra rassembler », a crié le leader du Modem dans les colonnes du Figaro. Stéphane Séjourné, le conseiller politique d’Emmanuel Macron, lui a emboîté le pas dans le JDD. « Nous devons bâtir un grand parti démocrate français », a-t-il trompété. Attention au rétrécissement, leur répond aujourd’hui Christophe Castaner, le patron des députés LREM. Pour lui, l’éventuelle création d’un « grand pôle démocrate » – il refuse d’employer le terme de parti ou de mouvement – ne doit pas signifier la création d’un parti unique. Les approches et les aspérités de chacun doivent être conservées. Comme à l’Assemblée où l’existence de plusieurs groupes doit perdurer selon lui.
En attendant cette « maison commune », Castaner n’épargne pas les oppositions à commencer par Anne Hidalgo. « Elle est prête à passer le périphérique pour découvrir la « province » et ça l’inspire, ironise-t-il. J’en suis ravi. Mais avant d’aller en province, il faudrait déjà qu’elle s’arrête de l’autre côté du périphérique et qu’elle parle avec les habitants d’Ile-de-France. » La droite, elle, souffre selon lui d’une multitude de candidatures et d’idées dépassées. Il alerte également sur Marine Le Pen qui fait des « libertés » le thème central de sa campagne mais « s’aligne sur Vladimir Poutine, Viktor Orban ou les pangermanistes avec qui elle dansait il y a quelques années ». Aucun doute, pour la majorité aussi, la campagne a démarré.
L’EXPRESS : La création d’une « maison commune » semble agiter votre famille politique. Est-ce l’urgence à huit mois de l’élection présidentielle ?
Christophe Castaner : La maison commune, nous la construisons et nous la pratiquons tous les jours depuis quatre ans avec le Modem, puis avec Agir à l’Assemblée. Bien sûr, elle peut être un outil important, mais elle reste un outil et pas une fin en soi. Ceux qui l’appellent de leurs voeux, à commencer par François Bayrou, se fixent un double objectif que je partage. A court terme, il s’agit de fluidifier notre schéma d’organisation, de le rendre plus visible, plus cohérent.
Mais dans l’immédiat, ce sera d’abord et avant tout la campagne présidentielle qui constituera le coeur de la Maison commune. Nous verrons si le président de la République est candidat et si il est, nous serons collectivement derrière lui.
Il y a ensuite un objectif de moyen terme : la constitution du pôle démocrate dont notre pays a besoin. Même si nous sommes la première force politique du pays, nous sommes toujours enfermés par la lecture persistante du seul clivage gauche/droite. Nous n’avons pas réussi à installer dans le champ politique l’évidence d’une force démocrate. Cet objectif justifie la création d’une maison commune, pour construire à 10 ans.
Un « grand pôle démocrate » signifie donc la disparition des partis qui le composent ?
Si la maison commune vise à un enfermement et à un rétrécissement sur ses bases actuelles, elle n’a pas d’intérêt. En revanche, elle a un intérêt si son but est d’élargir encore la majorité présidentielle.
Je prône un mouvement fait de souplesse, de cohérence et de liberté. Maison commune ne signifie pas parti unique et je ne ne suis d’ailleurs pas favorable à l’existence d’un seul groupe parlementaire. Mais il faut qu’il y ait des règles communes. Ni les uns ni les autres n’ont vocation à disparaître. Nous avons des histoires, des cultures, des approches à préserver. L’uniformité est parfois la conséquence de l’unicité. Je n’aime pas l’uniformité, l’altérité tient éveillé.
Vous espérez un « élargissement » de la majorité. Avec qui ?
L’élargissement doit se faire à la fois avec les sociaux-démocrates – de gauche – mais aussi avec les démocrates de centre-droit et les Républicains qui ne peuvent aujourd’hui se retrouver au sein des LR qui ont perdu leur boussole.
Mais le vrai enjeu de cet élargissement politique réside aussi dans le fait de dépasser les partis politiques traditionnels. Il faut trouver des formes démocratiques inédites.
Vous parlez de « grand pôle démocrate », n’est-ce pas trop centriste comme positionnement ? Ne risquez-vous pas de faire fuir les personnalités se vivant comme de gauche ou de droite ?
Je ne veux nier ni la droite ni la gauche, je veux qu’existe une force : celle de l’approche progressiste et démocrate. Raison pour laquelle je ne suis pas favorable à la bunkerisation. Edouard Philippe et le parti qu’il souhaite créer auront un rôle à jouer dans ce dispositif. Comme délégué général de Larem, quand nous avons préparé la campagne européenne, nous avons réussi un premier élargissement : nous sommes allés chercher Agir, mais aussi une partie de la droite organisée autour d’Alain Juppé. A l’époque, dans le même esprit, j’ai également échangé avec François Rebsamen ou Johanna Rolland par exemple, mais aucun n’a franchi le Rubicon – contrairement aux personnalités de droite.
Il faut dire que la gauche vous a beaucoup reproché de mener une politique de droite durant ce quinquennat.
Je pense sincèrement que c’est une caricature sans fondement. Je viens de la gauche, mais il est vrai que ceux qui ont incarné notre politique, en étant les plus visibles, sont des leaders venus de la droite. Les ministres portant de forts marqueurs politiques de gauche (comme Muriel Pénicaud ou Nicole Belloubet par exemple), n’étaient pas perçus comme personnalités de gauche mais comme issues de la société civile.
Nos opposants veulent nous enfermer dans des cases qui leur correspondent… mais ce n’est pas le référentiel des Français.
Revenons une minute sur Edouard Philippe que vous évoquiez. Lui aussi semble assez sceptique à l’idée de participer à cette maison commune. Faire sans lui a un sens ?
Je ne maîtrise pas le tempo de cette construction. Edouard Philippe est un homme à la fois fidèle et libre. Nous aurons besoin de lui. Il est dans notre majorité, il est dans cette maison commune, de fait. Je sais que nous pourrons compter sur lui.
Un mot sur les oppositions. Anne Hidalgo est-elle une candidate plus sérieuse que Benoît Hamon en 2017 ?
Elle est prête à passer le périphérique pour découvrir la « province » et ça l’inspire. J’en suis ravi. Mais avant d’aller en province, il faudrait déjà qu’elle s’arrête de l’autre côté du périphérique et qu’elle parle avec les habitants d’Ile-de-France. Finalement, quelle est la différence entre Benoît Hamon et elle ? Et puis quelle est sa ligne politique ? Je l’ignore. C’est le problème du Parti socialiste depuis quatre ans : il n’a pas pris le temps de réfléchir ni à ce qui s’était passé ni au projet politique qu’il souhaite désormais porter. Ils n’ont pas eu d’idées nouvelles.
C’est la même chose à droite. En ce début de campagne, on voit une foule de candidats qui se lancent pour des raisons personnelles, collectives, d’égo ou de marketing. Pour certains, ce sera même un exercice de thérapie, certes plus onéreux qu’un rendez-vous avec un professionnel. Tous nous ressortent les mêmes thèmes et les mêmes solutions de campagne d’il y a cinq ou dix ans. Aucun des partis d’opposition n’a pris le temps de réfléchir. Sur le régalien, la droite nous ressort du Nicolas Sarkozy d’il y a quinze ans mais je suis convaincu que même lui a évolué en la matière – puisque la société aussi. Nous vivons une répétition de campagnes déjà vues et déjà perdues.
Par exemple ?
Ceux qui se revendiquent de la famille politique de Nicolas Sarkozy ont une vision très classique de la sécurité par exemple. Personne ne parle des nouveaux risques, à commencer par la cybercriminalité, les ingérences étrangères, le cyberharcèlement ou la criminalité environnementale.
Plus globalement, nous devons porter dans la campagne ces sujets perçus par les citoyens mais pas encore formalisés par les politiques, alors nous aurons un temps d’avance. La campagne telle qu’elle démarre en ce moment nous rabaisse politiquement parce qu’elle est soit revancharde, soit nostalgique. La pauvreté des sujets de fond abordés dans cette précampagne me désespère.
Vous semblez très confiant.
Non. Ce n’est pas un excès de confiance mais un constat. L’excès, c’est de dire « on va gagner ». Je l’ai répété dix fois à mes collègues députés lors de nos journées parlementaires : on perd toujours avec un excès de confiance, jamais avec un excès d’humilité.
Et Marine Le Pen, elle vous inquiète ?
Je considère encore qu’elle est notre première adversaire. Je ne fais pas partie de ceux qui l’ont enterrée. Notre capacité de zapping permanent est étonnante. Avant les régionales, tous disaient qu’elle pouvait gagner le second tour. Elle a perdu les régionales et on dit alors « ne parlons plus d’elle ». Nous aussi, nous avons perdu les régionales mais nous pouvons gagner l’élection présidentielle. Tout ce discours n’est pas très cohérent. J’observe qu’elle vient de publier une affiche de campagne au nom des « Libertés » mais je n’oublie pas qu’elle s’aligne sur Vladimir Poutine, Viktor Orban ou les pangermanistes avec qui elle dansait il y a quelques années. Nous n’avons définitivement pas la même définition de la liberté.
Eric Zemmour représente-t-il un vrai danger ou une bulle médiatique ?
Politiquement, Eric Zemmour n’est rien. Il se cache derrière une non-campagne et des idées nauséabondes. S’il est candidat, il devra se présenter avec un projet autre que celui de la peur. Avez-vous déjà entendu une proposition, en dehors de son constat hystérisé ? Il n’en a aucune. C’est un objet médiatique avant d’être un objet de campagne, qui porte une vision rance de la France.
Certains dans votre famille politique pensent que sa candidature complique les affaires de Marine Le Pen.
Je ne suis pas de ceux qui parient sur le pire en espérant obtenir un bénéfice électoral. Faisons nous-mêmes attention à nos emballements, à nos émotions. Rien n’est acquis. Il y a une friabilité des tendances politiques et tout évolue rapidement.
Par exemple, on nous a, un temps, présenté David Lisnard (le maire Les Républicains de Cannes, NDLR) comme potentiel candidat à l’élection présidentielle. On n’en parle plus et il se rabat finalement sur l’Association des maires de France. Notez que je ne suis pas sûr que les maires aient envie d’une telle instrumentalisation politique de l’AMF.
Etes-vous soulagé du probable report de la réforme des retraites ?
Oui. Notre pays sort d’une crise profonde. Il est encore convalescent et on ne connaît pas l’évolution future du virus. Cette réforme sera nécessaire pour sauver notre régime de retraite mais les conditions posées en juillet par le président ne sont pas réunies. S’il a besoin d’être soigné, notre pays a aussi besoin d’être apaisé.
Cela ne veut pas dire que nous arrêtons de réformer. Nous devons consacrer les derniers mois de ce quinquennat à des réformes à hauteur d’hommes et de femmes. La proposition de loi sur la sécurité civile et les pompiers par exemple – qui est issue de mon groupe – me paraît en ce sens très importante. On a vu leur engagement lors des incendies cet été, peut-être faut-il en tirer des enseignements et réarmer notre sécurité civile. En un mot : on continue.
En parlant de propositions à hauteur d’hommes et de femmes, certains ministres se disent plutôt favorables à une hausse du Smic. Même le Medef ne semble pas réticent. Et vous ?
Si l’augmentation du Smic est un des éléments qui permet de partager les fruits de la croissance, évidemment j’y suis favorable. Mais il faut aussi regarder ce que nous avons fait : les bas salaires ont augmenté de plus de cent euros nets par mois depuis le début du quinquennat grâce à l’effet de la prime d’activité et de la suppression des cotisations salariales chômage et maladie. Le niveau de vie de ceux qui sont au Smic a aussi augmenté grâce à la fin de la taxe d’habitation ou la prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale des lunettes, prothèses dentaires et appareils auditifs. C’est essentiel de le rappeler parce que ce qui compte à la fin du mois n’est pas tant de savoir si le Smic augmente mais si l’on a plus de pouvoir d’achat ou non.