En annonçant la fin définitive du rapport doing business, la Banque mondiale semble se débarrasser d’une patate devenue trop chaude. La nouvelle devrait aussi être bien accueillie au Sénégal où ce classement était finalement une obsession.
L’information fait l’effet d’une bombe et sans doute que le scandale ne fait que commencer. La Banque mondiale a opté d’arrêter définitivement un de ses rapports les plus convoités : le Doing business qui mesure le climat des affaires dans les pays.
« (…) la direction du Groupe de la Banque mondiale a pris la décision de mettre un terme à la publication du rapport « Doing Business » », indique sur son site internet l’institution. Elle dit s’être basée sur le rapport rendu public le 16 septembre dernier ainsi que les conclusions d’examens et d’audits antérieurs.
Cette décision fait suite à la suspension de la publication du rapport en 2020, suite à des irrégularités dénoncées dans les rapports 2018 et 2020. « Parce que les rapports internes ont soulevé des questions d’éthique, concernant notamment la conduite d’anciens responsables du Conseil des Administrateurs ainsi que de certains employés actuels et/ou anciens de la Banque, la direction a porté les allégations y relatives aux mécanismes internes appropriés de reddition de comptes de la Banque », ajoute l’institution.
Parmi les incriminés, il y a l’actuelle directrice générale du Fmi, Kristalina Georgieva, à l’époque directrice générale de la Banque mondiale. Elle est accusée d’avoir demandé à son équipe de falsifier les chiffres du rapport 2018 et 2020 en faveur de la Chine qui n’a pas apprécié son rang (78ème) dans le rapport 2017.
Affaiblie par cette affaire, Kristalina Georgieva n’a pas tardé à réagir à ces accusations. « Je suis en désaccord fondamental avec les conclusions et les interprétations en ce qui concerne mon rôle dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale de 2018. J’ai d’ores et déjà tenu une réunion avec le conseil d’administration du FMI sur ce sujet », a-t-elle déclaré dans un communiqué.
Malgré ce scandale, la Banque mondiale se dit déterminée à éclairer les décisions des États et à promouvoir le rôle du secteur privé dans le développement de chaque pays. Par conséquent, elle ne renonce pas à la publication de travaux dans ce sens. « À l’avenir, nous emploierons à élaborer une nouvelle approche pour évaluer le climat des affaires et de l’investissement », promet-elle.
Sénégal, le complexe du Doing business
Du côté du Sénégal, on doit être à la fois malheureux et soulagé. Le rapport Doing business était une véritable obsession pour Macky Sall et ses hommes. A la rentrée gouvernementale, lors du premier conseil des ministres tenu le mercredi 1er septembre 2021, le président Sall a abordé le sujet avec son équipe.
« Le Chef de l’État souligne, en particulier, l’impératif d’intensifier, dans chaque ministère, le suivi des réformes du « Doing Business » et l’amélioration de l’environnement des affaires, en vue de consolider l’attractivité et les performances économiques du Sénégal », mentionne le communiqué de la séance hebdomadaire.
D’ailleurs, depuis des années, le président de la République a demandé plusieurs fois à son gouvernement, en conseil des ministres, de travailler à améliorer le classement du Sénégal dans le rapport. Comme en témoigne le communiqué de la séance du mercredi 2 décembre 2020 où Macky Sall rappelait à ses ministres l’urgence de « finaliser les mesures restantes de la feuille de route du Doing business 2021, afin de permettre au Sénégal d’intégrer le TOP 100 des meilleures pratiques à l’horizon 2021 ».
En réalité, Macky Sall et son régime ont toujours entretenu des relations passionnelles avec le rapport Doing business. A son arrivée au pouvoir, la majorité présidentielle a eu droit à une douche froide de la part du rapport. En 2013, le classement met le Sénégal à la 178ème place sur 185 pays. Macky Sall a manqué de s’étrangler. « J’ai eu beaucoup de regrets lorsque j’ai lu le dernier rapport Doing Business de la Banque mondiale où véritablement, ce qui a été noté est aux antipodes de l’ambition que j’ai pour ce pays », a lancé Macky Sall, plein d’amertume.
Ministre de l’investissement à l’époque, Diène Farba Sarr embouche la même trompette pour mettre en doute le sérieux de la Banque mondiale et ses experts. « Je doute de la sincérité des résultats proclamés dans le cadre du Doing Business 2014. Avec le classement du Sénégal, je subodore que le Doing Business ne peut plus être un référentiel pour les investisseurs et un outil de travail pour les administrations », peste-t-il.
L’année suivante, outre les places gagnées dans le classement, le Sénégal figure parmi les « 10 pays les plus réformateurs ». Le discours change complètement. Tout le gouvernement jubile, Macky Sall en premier. « Ce matin, j’ai dit au Premier ministre que c’est bien mais il faut 10 ou 20 points d’ici l’année prochaine », se félicite-t-il.
Le véto des États-Unis en 2020
Il faut dire qu’au-delà du Sénégal, le doing business charriait angoisse et espoir. Beaucoup de pays africains à l’image du Gabon avaient engagé des réformes pour être bien classés. Mais les indicateurs du rapport ont longtemps suscité polémique à travers le monde. Il peut arriver par exemple que la Guinée soit placée devant le Maroc, simplement parce qu’elle a amélioré sa fourniture en électricité. D’ailleurs, en plus de la Chine, l’Arabie Saoudite et les Emirats sont cités parmi les pays qui ont mis la pression sur la Banque mondiale.
De plus, après la suspension du rapport l’an dernier, Financial Afrik révélait que ce sont les États-Unis qui l’avaient bloqué parce que Trump ne pouvait pas accepter que son pays soit classé derrière le grand rival, la Chine.
Il faut croire donc que Doing business a fini par devenir une patate trop chaude pour la BM qui a décidé de s’en débarrasser tout bonnement, pour le bonheur de tous.