S’il est un pays où les sorties politiques et médiatiques du polémiste provoquent des réactions indignées, c’est bien cette terre dont il se dit être originaire, sans pour autant en être fier.
Ses dernières interventions, qui ont les allures d’une précampagne électorale, alors qu’il ne s’est pas encore déclaré officiellement candidat, et où on le voyait intensifier ses diatribes contre l’immigration notamment, n’ont pas laissé indifférents ces Algériens qui, jusque-là, suivaient avec un certain amusement les innombrables saillies et autres «vacheries» du polémiste tant qu’il n’était pas encore cité dans les sondages.
Les Algériens étant historiquement et culturellement proches de la France, ont toujours été sensibles aux différentes élections françaises autant qu’aux candidats qui en prennent part. À plus forte raison quand l’avenir de leurs compatriotes établis dans l’Hexagone en dépend, comme cela a l’air d’être le cas aujourd’hui.
Cependant, depuis quelques années, ils assistent, inquiets, au lent glissement d’une bonne partie de la classe politique française vers la droite et l’extrême droite. Emmanuel Macron prône par exemple un discours de plus en plus marqué à droite, de l’hommage officiel aux harkis à la dernière intervention devant des étudiants algériens et franco-algériens le 1er octobre à l’Élysée, où il a jeté un véritable pavé dans la mare qui risque de troubler sérieusement les relations avec l’Algérie.
Habitués à ce genre de remontrances de la part des politiques français, les Algériens d’Algérie ne se sont néanmoins jamais sentis aussi interpellés que par le cas Zemmour, sans doute parce qu’il est d’abord algérien: rarement une figure impliquée dans le débat politique n’aura suscité autant de curiosité que de mépris.
Oiseau de mauvais augure
On ne dispose pas de chiffres exacts, mais les Algériens ont été très nombreux à suivre, par exemple, le débat, premier du genre, entre Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon sur BFMTV le 24 septembre. Au-delà de la qualité ou de la virulence des échanges entre les deux protagonistes, la prestation du polémiste est celle ayant focalisé plus l’attention des téléspectateurs algériens. Mohamed, journaliste dans un organe public, estime que, «en dehors de l’immigration et de l’islam, Zemmour ne maîtrise en réalité aucun sujet». Son ascension le laisse pantois: «C’est sidérant de voir un tel personnage grimper à ce niveau dans les sondages.»
Naïma, médecin généraliste à Alger, se dit peu intéressée par la politique française, mais a tenu à suivre le débat pour se faire une idée «définitive» du personnage Zemmour «qu’on nous présente comme un épouvantail»: «Je reconnais qu’il est bon orateur et qu’il a un sens de la répartie, mais ses arguments restent très faciles à démonter. Jean-Marie Le Pen, en son temps, avait plus de punch», juge notre interlocutrice.
Kamel Kerour est éditeur et à l’affût de la vie des idées. Interrogé au sujet du phénomène Zemmour, il estime d’entrée que celui-ci «veut être plus français que les Français», et que «son seul projet est de surenchérir sur Marine Le Pen». Il analyse ses prises de positions comme étant le résultat d’une frustration liée à sa vie personnelle: «Au lieu de penser à chasser la communauté musulmane, il ferait mieux de chercher à connaître les raisons de l’échec de son intégration dans la société française.» La même remarque s’applique, selon lui, aux autres candidats potentiels de la présidentielle française, tentés, selon lui, par «les extrêmes».
L’universitaire et essaysiste Mohamed Lakhdar Maougal estime, pour sa part, que le polémiste «n’est qu’un épouvantail médiatique» et qu’on surestime son importance en tant que phénomène politique.
Dans les médias, de presse écrite aux réseaux sociaux, notamment, Éric Zemmour est brocardé, caricaturé comme aucun candidat à l’élection présidentielle française ne l’a été jusqu’ici.
En une semaine, il a fait la une du plus grand quotidien francophone du pays, El Watan, journal que personne à Alger ne peut soupçonner de nourrir des sentiments antifrançais. «Un provocateur nommé Zemmour», titre le journal dans son édition du 30 septembre 2021, illustrée par une caricature du polémiste présenté en corbeau devant une urne. On peut lire dans l’article: «Depuis qu’il a entrepris, sur la base d’un agenda politique scrupuleusement orienté et contrôlé par ses sponsors, de mettre les pieds dans la sphère politique, on ne voit pratiquement que lui sur les plateaux de télévision, sans que cela ne déconcerte ni n’étonne les familiers des débats publics.»
Le journal en ligne Algeriepatriotique, réputé proche de l’ex-ministre de la Défense Khaled Nezzar, s’intéresse au cas Zemmour, en lui consacrant plusieurs articles d’opinion qui tentent de le démythifier.
Des fans jusqu’en Algérie
Ses aficionados algériens ne doivent pas être légion, mais on en trouve quand même. Ils ne le crient pas sur tous les toits, mais ils le font savoir à travers des commentaires plus ou moins assumés dans les forums de débat. La majorité de ces adeptes se recruteraient plutôt dans les microcosmes politiques franchement hostiles à l’arabo-islamisme, qui se réjouissent bien d’entendre une voix aussi tonitruante et aussi bien écoutée outre-mer vilipender l’islamisation de l’Algérie.
Devant ce public qui lui prête l’oreille, il ne manque pas de rappeler les origines berbères de son patronyme. Le polémiste y a fait allusion sur le plateau de «Face à l’info»: «Moi-même je suis berbère[1].» Il plaît aussi beaucoup à certains Algériens des deux rives de la Méditerranée quand il s’exclame: «J’aime les Kabyles. Je suis berbère, c’est la même chose. Simplement, moi, j’ai échappé à la rafle: je n’ai pas été converti à l’islam de force, c’est notre seule différence…»
«Je suis berbère, simplement, moi, j’ai échappé à la rafle: je n’ai pas été converti à l’islam de force.»
Éric Zemmour, polémiste
«J’aimerais bien voir un Zemmour algérien», écrit un internaute algérien qui utilise le drapeau berbère comme photo de profil pour commenter un post raillant le polémiste français.
À noter que Zemmour lui-même a cité, dans plusieurs de ses interventions, Ferhat Mehenni, président du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), aujourd’hui recherché par les autorités algériennes, et dont le parti est classé par Alger comme «organisation terroriste». Le polémiste fait aussi référence à l’écrivain à succès Boualem Sansal, dont les positions sur la révolution algérienne et la religion musulmane ont fini par le cataloguer, chez les thuriféraires de l’idéologie officielle, dans la case des révisionnistes. Il les qualifie de «références».