LES MOUTONS DE PANURGE ET DE PARIS

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PAR BABACAR JUSTIN NDIAYE
Portrait de Babacar Justin NDIAYE - Laser du Lundi © Malick MBOW
Portrait de Babacar Justin NDIAYE – Laser du Lundi © Malick MBOW

Le Sommet de la CEDEAO a camouflé un conclave sur le déploiement inquiétant des mercenaires russes à proximité des berges du fleuve Djoliba. La décision prise par l’organe communautaire est au carrefour du dramatique et du drôle

Pressafrik  |   Babacar Justin Ndiaye  |   Publication 10/01/2022

Dans un élan communautaire – sans faiblesse ni fissure – la CEDEAO a frappé fort le Mali. Des sanctions aussi démesurées que le chronogramme provocateur du Colonel Assimi Goïta. Mais, il reste à savoir si la thérapie anti-putsch des « Docteurs » d’Accra engloutira à court terme la Junte de Bamako ou pulvérisera à moyen terme le Mali lui-même ? Autrement dit, la dose de la punition administrée par la CEDEAO n’est-elle pas plus chargée de chaos accéléré que les coups d’État à répétition des officiers de Kati ? Le futur proche y répondra.

Dans l’immédiat, passons au crible deux décisions dans la gamme de sanctions prises dans capitale du Ghana ! Les sanctions les plus en relief étant le gel des avoirs du Mali, la fermeture des frontières terrestres et aériennes, le retrait des ambassadeurs et l’activation de la Force (militaire) en attente de la CEDEAO, avec la possibilité éventuelle de pénétrer en territoire malien sur une distance de 50 kilomètres etc. Un vrai remède de cheval contre le mulet malien !

La fermeture des frontières est une mesure aux effets lents, aléatoires et variables. Le Mali est bordé ou borné par sept pays. Des frontières d’importance économiquement inégale. Avec le Niger, la frontière malienne est longue et vide sur de grandes distances. Elle n’a pas la valeur d’un vaisseau sanguin pour l’économie malienne. En outre, elle est fermée de facto par les terroristes qui y grouillent et grenouillent de façon infernale. Même chose voire pire dans la fameuse « zone des trois frontières » (Mali, Niger et Burkina) évacuée par les populations ; où la seule activité rime avec les opérations militaires.

Quant à l’Algérie, une fidèle et historique alliée du Mali, elle ne se sent point concernée par une décision de la CEDEAO. Mieux, l’Algérie grand pays pétrolier et gazier, brisera allègrement l’embargo en fournissant du carburant à l’armée malienne. Comme elle le fit pour les opérations ServalL et Barkhane. En effet, pour l’opérationnalité correcte de ses bases de Tessalit et de Kidal (situées à plus de 1000 kilomètres de Bamako), la France de François Hollande avait cajolé et caressé le président Abdelaziz Bouteflika, pour obtenir le ravitaillement de ses blindés et de ses avions voraces en carburant et en kérosène.

Idem pour la Mauritanie, ex-membre de la CEDEAO, qui ne fermera pas sa frontière avec le Mali. Pour la petite histoire, le président Ghazouani et son ministre de la Défense, le Général Hanana Ould Sidi, sont originaires de Kiffa et de Bassiknou, deux villes des confins de l’Est mauritanien très collées au Mali.

Restent alors le Sénégal et la Côte d’Ivoire pour esquinter le Mali et/ou hâter l’affaissement de la Junte. Singulièrement le Sénégal qui a un corridor équivalent à une aorte thoracique pour l’économie malienne. Un corridor qui approvisionne le Mali et, en retour, met beaucoup d’argent dans les caisses de certaines régies financières au Sénégal. Sans oublier les camionneurs des deux pays qui vivent de ce trajet fluide et transnational. Donc des effets durs pour Bamako mais aussi des retours de flammes, des contrecoups pour Dakar. Il s’y ajoute que le gel de ses avoirs empêchera le Mali d’acheter les denrées alimentaires non frappées d’embargo et introuvables sur le marché malien. Par conséquent, la fermeture non hermétique des frontières pour certains produits, sera de facto hermétique.

Enfin, le cas le plus particulier est réellement celui de la Guinée-Conakry. Le Mali et la Guinée-Conakry n’étant pas seulement frontaliers mais physiquement imbriqués sur l’axe Bamako-Kankan. Du reste, la décision prise par la CEDEAO est au carrefour du dramatique et du drôle. N’est-ce pas illogique et comique d’épargner le putschiste Doumbouya, tout en lui assignant implicitement la mission de punir un autre putschiste de même acabit ?

Au chapitre militaire, figure l’activation de Force en attente de la CEDEAO. Une mise en état d’alerte qui ne dit pas son nom. Un casus belli aux yeux de la Junte et d’une grande partie du peuple malien qui comprennent mal une décision si mal inspirée. Pourquoi cette Force, en attente et en bordure du Mali, n’avait pas endigué, en 2013, le déferlement des djihadistes avant le débarquement des soldats français de SERVAL venus d’outre-Méditerranée ? Pourquoi la MICEMA (force ouest-africained’alors) s’est effacée devant la Minusma qui compte des soldats venus des lointaines Îles Fidji ? Les quinze États de la CEDEAO ne pouvaient-ils pas réussir au Mali, ce que le Rwanda a accompli au Mozambique ? On serait, aujourd’hui, sans un Colonel Goïta à Koulouba et sans des mercenaires de Wagner à Tombouctou.

En mettant en avant la possible éventualité de pénétrer en territoire malien sur une cinquante de kilomètres, les chefs d’Etat de la CEDEAO envisagent un saut dans l’inconnu. Attention : on commence une guerre quand on veut, mais on la termine comme on peut…Et rarement au meilleur de sa forme. Même chez le vainqueur !
Au demeurant, quelles sont les armées programmées ou programmables pour le franchissement de la frontière malienne ? Le Niger et le Burkina sont sporadiquement envahis par les terroristes qu’ils ont du mal à contenir. La Guinée-Conakry n’est pas éligible à l’intervention militaire, car ce serait tout à fait malsain et totalement grotesque d’envoyer une armée de Transition (sans calendrier clair) combattre une autre armée de Transition dotée d’un chronogramme… rejeté.

Du coup, les regards se tournent vers l’armée sénégalaise qui peut avoir pour objectif sous-jacent et mission légitime, la sécurisation du Barrage de l’OMVS construit sur le site névralgique de Manantali. Un patrimoine hydro-énergétique commun aux États membres. Et une infrastructure située à plus de 50 kilomètres de la Falémé. C’est-à-dire au-delà du périmètre établi par les planificateurs militaires de la CEDEAO

Pour moult observateurs, c’est l’équation géopolitique et sécuritaire que constitue la présence des mercenaires russes de Wagner au Mali qui fonde la punition économique, la frénésie diplomatique et le branle bas militaire de la CEDEAO. Au péché originel du coup d’Etat du Colonel Assimi Goïta s’ajoute maintenant l’alliance avec l’armée de l’ombre du Kremlin : Wagner.

Horripilée par le braconnage audacieux de Poutine au Sahel, désarçonnée par l’exil ou l’emprisonnement de ses amis (Boubèye Maïga, Boubou Cissé et autre Tiéman Hubert Coulibaly), ébranlée par le sentiment anti-français et in fine coincée par une sensible période électorale dans l’Hexagone, la France de Macron (discrète et active à Accra) a mobilisé ses mousquetaires qui, dans ce dossier, font figure de moutons de Panurge et…de Paris.

Comme un train sur un passage à niveau peut cacher un ou deux autres, le Sommet de la CEDEAO a ainsi camouflé un conclave sur le déploiement inquiétant des mercenaires russes à proximité des berges du Fleuve Djoliba. Il a également pris en charge quelques enjeux politiques…maliens.

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