C’est un 15 juillet 2005 que Idrissa Seck avait été convoqué par la Division des investigations criminelles. 199 jours à Rebeuss, c’était le début d’une mise à mort politique savamment ourdie par Abdoulaye Wade. Des déboires judicaires qui le poursuivent dans sa carrière politique.
En perpétuant la tradition qui consiste à servir du «ndogou» aux prisonniers de Rebeuss, Idrissa Seck a célébré une de ses dates qui marquent son journal politique. Le 15 juillet 2005, le Premier ministre de Abdoulaye Wade recevait la visite des éléments de la Division des investigations criminelles (Dic) pour une convocation dans l’affaire dite des chantiers de Thiès. Une grosse affaire à milliards qui mettra ce démembrement de la police judiciaire au devant de la scène. La marche vers la prison est déclenchée. Entendu par le commissaire Assane Ndoye et ses hommes, le maire de la capitale du rail sera, par la suite, présenté au procureur et la Doyenne des juges, Seynabou Ndiaye Diakhaté. Surprise : il est inculpé pour «atteinte à la sûreté de l’Etat et à la défense nationale». L’effarement était d’autant plus grand que, ce même 15 juillet 2005, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Me Ousmane Ngom avait convoqué une conférence de presse pour soutenir l’action judiciaire en question en ces termes : «L’audition de M. Idrissa Seck par la Division des investigations criminelles de la police obéit à cette exigence de transparence et de bonne gouvernance. Si M. Seck fournit les justificatifs en ce qui concerne le gap immense constaté et qui ne peut qu’être préjudiciable aux finances publiques, toutes les conséquences de droit en seront tirées.» C’est que Abdoulaye Wade ne pouvait trouver meilleur profil pour «corriger» un fils qu’il considérait «déloyal». C’est l’histoire d’un arroseur- qui a bousculé le numéro 2- qui doit être arrosé. Mouillé jusqu’au cou et destiné à l’échafaud ou à la guillotine politique. Le Président Wade avait déjà aiguisé le couteau dans Jeune Afrique, un mois auparavant en déclarant : «Il (Idrissa Seck) a suggéré 25 milliards mais en a déboursé plus de 40. En plus des 20 milliards pris dans le budget, cet écart a endetté l’Etat, engagé des ressources pour les exercices 2005 et 2006.»
La bombe et ses fragmentations
L’inculpation lui sera notifiée le 23 juillet suivant. Elle sera suivie d’un mandat de dépôt. Idrissa Seck est en détention provisoire en compagnie de l’homme d’affaires Hassane Farès, mais aussi du journaliste Ndary Guèye. Mais l’ex-Pm ne s’est pas laissé abattre par les missiles de propagande du régime libéral. Deux jours avant sa convocation, il lâche une bombe nommée «Cd numéro 1», dont les fragmentations résonneront dans les couloirs du palais et de la République. Des secrets d’Etat avec force-détails pour clamer son innocence. «Jusqu’à l’extinction du soleil, aucun centime de détourné ne pourra m’être reproché», jure-t-il. Trois jours après son incarcération, son successeur à la Primature entre dans la danse. Macky Sall convie la presse au King Fahd Palace, Méridien Président à l’époque, pour, dit-il, «souscrire aux obligations conjointes d’information et de transparence». Il délivre une partie du contenu du rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) qui enfonce davantage Idrissa Seck. Du côté de la chancellerie, on active les réseaux diplomatiques. Ministre des Affaires étrangères d’alors, Cheikh Tidiane Gadio, présente ledit rapport aux diplomates accrédités au Sénégal. Comme le troisième Premier ministre de Wade jouissait d’un privilège de juridiction, il fallait que l’Assemblée nationale joue sa partition. Elle vote une résolution de mise en accusation. Exclu du Pds le 5 août, Idrissa Seck comparaît devant la Commission d’instruction de la Haute cour de justice ; laquelle l’inculpe de détournement de deniers publics dans le cadre du Programme indépendance Thiès 2004. Entre temps, l’ex-patronne de l’Inspection générale d’Etat, Nafi Ngom, est montée au créneau pour assurer que le vrai rapport portant sur les chantiers de Thiès n’est pas encore publié. Du coup, le doute persiste.
Wade : «Les accusateurs sont incapables de fournir la moindre preuve…»
Alors que l’attention était tournée vers un match de coupe d’Afrique de l’Equipe nationale du Sénégal, le futur leader de Rewmi sort de prison le 7 février 2006, suite à un non-lieu, partiel d’abord et définitif après, servi par la Commission d’instruction de la Haute cour de justice. Accueilli par ses militants et sympathisants, Idrissa Seck martela : «C’est avec une conscience calme que je suis entré dans cette épreuve. C’est avec une conscience calme que j’en sors et je convoite de Dieu la sérénité, l’endurance, la capacité de dépassement qu’exige la mission que je me suis assignée : servir le Sénégal…» Cette «endurance» souhaitée ne lui permettra pas de «servir le Sénégal», comme il a eu à le faire auparavant. Comme il le voulait en 2007 et 2012.
Les chantiers de Thiès renvoient Idy à «l’an zéro»
Et le «raccourci vers le palais» qu’il espérait de son séjour en prison ne sera qu’une illusion. Jusqu’ici en tout cas. En effet, sa «victimisation» politique n’a pas eu les effets escomptés puisque son «maître» le surveillera comme du lait sur le feu. Candidat sortant à la Présidentielle de 2007, Abdoulaye Wade usera de tous les moyens pour discréditer celui qui était parti pour l’envoyer en ballotage. Et il y parviendra. Le 22 janvier 2007, le Président Wade reçoit Idrissa Seck et, comme un enfant, il lui servira un bonbon calmant à mâcher. «Les accusateurs de Idrissa Seck sont incapables de fournir la moindre preuve de leurs accusations. J’ai expliqué que c’est sur la base d’informations que je détenais, que j’ai décidé de le sanctionner», a-t-il dit pour convaincre l’opinion. Mais l’inconnu de cette affaire était le «Protocole de Rebeuss». Un document que Le Quotidien publiera le 8 mars 2007. Ces multiples rebondissements entre Wade et Idy ont valu au dernier une perte de popularité à la veille de l’élection présidentielle. Le premier l’avait d’ailleurs remporté dès le premier tour. Et Wade a joué les prolongations jusqu’à la veille de 2012 en usant d’intrigues, de ruses pour faire croire à son adversaire qu’il est son seul successeur. Entre-temps, Wade «créera» un autre potentiel adversaire et larron, Macky Sall. Sans le voir venir. «Xawma fumu jaar (Je ne sais pas par où il est passé pour me battre)», avait avoué Me Wade à Tivaouane au lendemain de sa défaite, le 25 mars. Ces chantiers de Thiès étaient le début de la mésaventure continue de celui qui se voyait quatrième Président. Obligé aujourd’hui de repartir à «l’an zéro» de sa vie politique. Sera-t-il le cinquième ou le sixième ?
Source : Presse