Fin de partie pour Marine Le Pen et le Rassemblement national ?

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Marien LE PEN © Malick MBOW
Marien LE PEN © Malick MBOW
OPINION. Le Rassemblement national joue-t-il ses dernières cartes ? Les positions de la candidate Valérie Pécresse et celles d’Éric Zemmour prennent le parti fondé par Jean‑Marie Le Pen en étau. Par Olivier Guyottot, INSEEC Grande École.

(Crédits : BENOIT TESSIER)

« Éric Zemmour ne se bat pas pour gagner mais pour « tuer le Rassemblement national » », affirmait sa présidente, Marine Le Pen, dans un entretien pour Le Figaro le 3 février dernier. À quelques semaines du 1er tour de l’élection présidentielle, et alors que le combat pour être présent au second tour aux côtés d’Emmanuel Macron s’intensifie, le propos ne manque pas d’étonner.

Quelle analyse peut-on faire de cette crainte à la lumière de l’histoire du Rassemblement national ? La concurrence d’Éric Zemmour et de son mouvement Reconquête ! est-elle à ce point un danger pour le mouvement de Marine Le Pen ?

De l’anonymat des débuts aux premiers succès

Le Front national, ancien nom du Rassemblement national, est fondé le 5 octobre 1972 à l’instigation de responsables du groupuscule néofasciste Ordre nouveau. Son président élu est Jean‑Marie Le Pen, ancien directeur de campagne du candidat d’extrême droite Jean‑Louis Tixier-Vignancour lors de l’élection présidentielle de 1965. Après plusieurs années de relatif anonymat, le Front national connaît son premier succès électoral à Dreux en 1983 lorsque la liste de Jean‑Pierre Stirbois, le secrétaire général du parti, obtient 16,72 % des voix au 1er tour des élections municipales.

Un an plus tard, le parti frontiste confirme sa percée, cette fois-ci au niveau national, en obtenant 10,95 % des suffrages lors des élections européennes.

Frictions et scissions

Cette montée en puissance semble marquer un coup d’arrêt en 1999. Bruno Mégret, numéro 2 du parti, exclu en raison du conflit qui l’oppose à Jean‑Marie Le Pen, décide de créer le Mouvement national républicain. Un grand nombre d’élus et de cadres du Front national rejoint à l’époque le nouveau mouvement.

Si cette scission est principalement due à des divergences sur la stratégie à employer pour arriver au pouvoir, elle vient rappeler que le Front national n’est pas un bloc monolithique et qu’il fait l’union, au gré des entrées et des sorties, entre des courants et des familles hétérogènes et désunis (catholiques, royalistes, néofascistes, nationalistes, poujadistes, lepénistes…).

Trois ans plus tard, c’est le parti frontiste et Jean‑Marie Le Pen qui sortent définitivement vainqueurs de cet affrontement en accédant au second tour de l’élection présidentielle de 2002 alors que Bruno Mégret ne rassemble que 2,34 % des suffrages.

La stratégie de « dédiabolisation »

En 2011, Jean‑Marie Le Pen est remplacé par sa fille Marine à la tête du parti d’extrême droite. Marine Le Pen met en place une stratégie de normalisation et de crédibilisation du Front national, qualifiée de « dédiabolisation » par les stratèges du parti frontiste.

Elle tourne le dos aux excès et aux dérapages de son père et exclut ou écarte les membres et les sympathisants proches des courants les plus extrêmes (notamment néo-nazis et intégristes catholiques), en particulier lorsqu’ils se rendent ouvertement coupables de propos ou d’actions antisémites, racistes ou xénophobes.

Dans un premier temps, cette stratégie va porter ses fruits électoralement. Lors de ses premières élections présidentielles, en 2012, Marine Le Pen rassemble plus de voix que son père en 2002 et termine en 3e position avec 17,9 % des suffrages. Surtout, le Front national devient pour la première fois le premier parti de France en nombre de suffrages lors des élections européennes de 2014 avec 24,86 % des voix.

Portée par cet élan, elle parvient, à l’instar de son père, et pour la seconde fois pour un candidat d’extrême droite sous la Ve République, à se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle de 2017 face à Emmanuel Macron.


À lire aussi : Le Rassemblement national par ses électorats


Une dynamique brisée par l’échec de 2017

Cet entre-deux tours est notamment marqué par le traditionnel débat télévisé entre les deux finalistes. La prestation de Marine Le Pen se révèle calamiteuse et elle perd finalement assez largement au second tour, en ne recueillant que 33,90 % des suffrages.

Cette séquence va avoir au moins trois conséquences notables pour Marine Le Pen : celle d’inverser une dynamique électorale jusqu’à présent ascendante ; celle de questionner à nouveau l’efficacité de sa stratégie ; et surtout celle de mettre en doute sa crédibilité et son leadership.

D’un point de vue électoral, après des élections européennes 2019 où la liste du Front national, menée par Jordan Bardella et non Marine Le Pen, obtient encore 23,34 % des suffrages, le Front national, devenu en 2018 le Rassemblement national, va connaître un premier recul lors des élections municipales de 2020. Ce recul se confirme de manière encore plus nette lors des élections régionales et départementales de 2021.


À lire aussi : Des terrils « bleu Marine » : quelle place pour le Rassemblement national dans le bassin minier ?


Stratégie et positionnement

Malgré l’échec de la présidentielle et le départ de son vice-président Florian Philippot, qui avait été à l’origine d’une inflexion idéologique sociale, étatiste et souverainiste, Marine Le Pen décide de garder le cap de sa stratégie de normalisation.

Encore en cours aujourd’hui, elle explique aussi les difficultés actuelles d’un parti de tout temps tiraillé entre les tenants d’une ligne dure, ouvertement d’extrême droite et refusant les compromis avec les autres partis, et les tenants d’une ligne visant à essayer de le banaliser pour qu’il apparaisse comme un parti capable de gouverner le pays.

Avec l’émergence d’Éric Zemmour, adepte de la théorie du grand remplacement, et la droitisation des propositions de la candidate de la droite républicaine Valérie Pécresse, le Rassemblement national se retrouve coincé entre un mouvement au discours plus extrême séduisant les tenants d’une ligne dure (Reconquête !) et une organisation reprenant une grande partie de son offre politique tout en disposant de la respectabilité à laquelle il aspire (Les Républicains).


À lire aussi : Pourquoi Éric Zemmour embarrasse-t-il autant la droite ?


La question centrale du leadership

Le culte du chef est un élément clef et structurant de la pensée des mouvements populistes de droite et de gauche en général, et des organisations d’extrême droite en particulier.

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Jean‑Marie Le Pen a su, pendant des années, incarner ce chef et cet homme providentiel de l’extrême droite française pour affirmer son autorité et installer un leadership autocratique parfois teinté de paternalisme.

Mais les temps ont changé. Ce type d’autorité, assimilable en management à un leadership narcissique, montre aujourd’hui ses limites et doit de plus en plus laisser place à un leadership transformationnel misant sur la confiance aux autres et mettant en avant la compétence et la capacité à convaincre et à partager sa vision stratégique.


À lire aussi : Le Rassemblement national isolé : l’échec du lepénisme municipal


Le débat raté de 2017 constitue de ce point de vue, pour Marine Le Pen, un tournant et explique aussi ses difficultés du moment. D’abord parce qu’il interroge aux yeux de tous la stratégie ouvertement agressive employée à cette occasion. Ensuite parce qu’il met en question ses compétences et sa vision, comme lorsqu’elle aborde le thème de la sortie de l’euro.

Pour beaucoup de sympathisants et de cadres du parti, cette séquence a jeté un doute sur sa capacité à incarner ce chef visionnaire, à la fois craint et respecté, capable de les mener à la victoire.

L’importance de la famille Le Pen

La place de la famille Le Pen dans l’histoire du Rassemblement national est centrale et singulière tant leurs destins sont intimement liés.

Être une Le Pen a aidé Marine à accéder à la présidence du parti et lui procure une indéniable aura dans les cercles d’extrême droite et auprès des sympathisants du parti. Mais cette filiation peut aussi constituer un handicap et même un repoussoir.

Eric Zemmour a su en profiter pour lancer avec succès son mouvement et a aussi réussi à fédérer autour de lui les personnalités vexées ou mises à l’écart par Marine Le Pen (à l’image du chef de file du Rassemblement national au parlement européen, Jérôme Rivière, ou du médiatique député européen Gilbert Collard).

Marion Maréchal la fossoyeuse

C’est dans ce contexte d’affaiblissement, et alors que Marine Le Pen semble adopter ces dernières semaines une stratégie de victimisation face aux attaques des partisans de Zemmour, que Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen (qui a abandonné le nom Le Pen et s’est récemment mariée avec un leader de la droite dure italienne) a laissé entendre qu’elle pourrait soutenir Éric Zemmour voir même rejoindre le mouvement Reconquête !.

Cette prise de position n’est pas sans évoquer l’adhésion de Marie-Caroline Le Pen, la fille de Jean‑Marie Le Pen et la sœur de Marine, au Mouvement national républicain de Bruno Mégret en 1999. Elle rappelle aussi que la préférence entre liens familiaux et ambitions politiques reste un sujet délicat dans la famille Le Pen comme l’a montré le tweet de Jean‑Marie Le Pen qui affirme vouloir s’entretenir avec sa fille et sa petit-fille dans la perspective « des débats présidentiels et législatifs à venir ».


À lire aussi : Marion Maréchal : l’héritière qui bouscule les codes du champ politique


Marion Maréchal défend une idéologie et un positionnement décomplexés proche du positionnement des soutiens d’Éric Zemmour… tout en se déclarant favorable à l’Union des Droites également préconisée par ce dernier. La logique politique voudrait donc qu’elle rejoigne le mouvement Reconquête !.

Un RN en sursis ?

Une telle décision, couplée à l’élimination de Marine Le Pen au 1er tour de la présidentielle 2022, pourrait mettre en péril la survie du Rassemblement national. La qualification d’Éric Zemmour pourrait même en sonner définitivement le glas.

Mais Marion Maréchal, proche de son grand-père, humainement et politiquement, pourrait aussi aspirer à prendre les rênes de la formation qu’il a fondée, pour en réorienter la stratégie et en réaffirmer l’autorité.

Sa jeunesse et sa capacité à incarner la synthèse entre un positionnement idéologique assumé, un leadership fort et moderne et une tradition familiale qui a embrassé tous les combats nationalistes, de l’après-guerre à nos jours, sont des atouts que ne semblent posséder ni Marine Le Pen… ni Éric Zemmour.

À ce titre, Marion Maréchal jouera un rôle clef dans la recomposition que ne manquera pas de connaître l’extrême droite française après les élections présidentielles et législatives de 2022. Son engagement aura un impact majeur sur la survie de la formation créée par son grand-père

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