Céline Hussonnois-Alaya
Le 25/02/2022
Un soldat ukrainien dans sa position près de la localité de Schastia, face aux séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine, le 23 février 2022 – Anatolii Stepanov © 2019 AFP
Vladimir Poutine a brandi la menace nucléaire, Jean-Yves Le Drian a répondu sur le même ton. Faut-il y voir le risque d’une escalade?
Après le début de l’offensive en Ukraine, faut-il craindre une guerre nucléaire? Jeudi, alors que la Russie venait de lancer une « opération militaire » en Ukraine et que Vladimir Poutine agitait la menace nucléaire en cas d’entrave à son offensive, Jean-Yves Le Drian déclarait que l’Otan était aussi une « alliance nucléaire ».
Le ministre français des Affaires étrangères a ainsi rappelé au maître du Kremlin qu’il n’était pas le seul à posséder la bombe atomique – les Etats-Unis et la France, membres de l’Otan, en disposent également. « Je n’en dirai pas plus », a-t-il ajouté en réponse aux menaces du dirigeant russe.
- L’arsenal russe
Qu’en est-il de l’arsenal nucléaire russe? « La force de dissuasion nucléaire russe s’appuie sur ce que l’on nomme une ‘triade stratégique' », explique à BFMTV.com Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste de sécurité internationale, prolifération et questions stratégiques. Dans le détail: des missiles balistiques intercontinentaux au sol, des sous-marins nucléaires armés de missiles balistiques stratégiques et des bombardiers stratégiques armés de missiles de croisière.
« Selon la comptabilité établie dans le cadre bilatéral américano-russe du traité New Start, la Russie déploie un peu plus de 520 lanceurs armés d’un peu moins de 1500 têtes nucléaires (ogives). Traditionnellement, c’est la composante terrestre qui est réputée être le cœur de la force. »
Mais depuis une vingtaine d’années, Moscou a lancé un vaste programme de modernisation de l’ensemble de ces armes, « complété par des annonces, en 2018, de développement de nouveaux systèmes », précise encore Benjamin Hautecouverture, qui appelle néanmoins à la prudence sur les annonces faites par la Russie.
- Faut-il craindre pour autant une escalade nucléaire?
Pour Benjamin Hautecouverture, de la Fondation pour la recherche stratégique, si les mots employés aussi bien du côté russe que français sont forts, « ces rappels rhétoriques indiquent que le conflit reste maîtrisable », nuance-t-il. « Tant que la qualité de puissance nucléaire de la Russie lui permet de mener contre l’Ukraine, qui ne fait pas partie de l’Alliance atlantique, une guerre conventionnelle sous couvert de sa force de dissuasion nucléaire. »
Ce qui gèle la capacité d’intervention des pays amis de l’Ukraine. Les États-Unis l’ont d’ailleurs annoncé: ils n’interviendront pas directement, Joe Biden a assuré qu’il ne comptait pas « combattre » militairement Moscou. Ni la France – Emmanuel Macron a plaidé pour des sanctions économiques.
Si les Russes pourraient néanmoins déplacer et rapprocher, en les déployant en Biélorussie et en Crimée, leurs systèmes d’armes nucléaires « pour renforcer la dimension nucléaire de la menace », poursuit Benjamin Hautecouverture, « il y a peu de risque de lancement d’une escalade délibérée ».
« C’est le sens du non-interventionniste américain. Reste un risque faible mais réel d’escalade involontaire. Nous sommes ici dans ce que les experts nomment la gestion du risque stratégique, qui passe par l’utilisation de canaux de communication de crise spécifiques, destinés à faire en sorte que le dialogue dissuasif fonctionne en permettant de maintenir le conflit sous le seuil nucléaire. Ce conflit, au fond, illustre déjà en creux les forces et les faiblesses, les garanties et les limites fournies par la dissuasion nucléaire dans les affaires internationales. »
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