Le président tchadien pourrait être mis en cause lors du procès de son prédécesseur, à Dakar, au Sénégal. Au moment des crimes commis sous le régime de Hissène Habré, il était chef d’état-major.
Le 23 juin dernier, un journaliste de RFI, Laurent Correau, dîne à N’Djaména avec Reed Brody, le porte-parole de Human Rights Watch, quand deux policiers tchadiens surgissent dans le restaurant et lui signifie son renvoi immédiat du pays. « Allez préparer vos affaires, vous prenez l’avion ce soir », lui déclare les agents en djellaba. Il exige de voir un ordre d’expulsion officiel, tente de les empêcher de saisir le téléphone de son convive, reçoit une gifle. Quelques heures plus tard, il embarque à bord d’un appareil d’Air France. Evelyne Decorps, l’ambassadrice de France au Tchad, accourue à l’aéroport, n’a même pas le droit de le rencontrer avant son départ.
Quelle faute a commis le reporter français aux yeux du pouvoir tchadien ? Il préparait une série de reportages en prévision du procès de l’ex-dictateur Hissène Habré. Il avait recueilli des témoignages de victimes. Il s’intéressait notamment à la terrible répression exercée par son régime dans le sud du pays, en 1984. Une page sanglante de l’histoire du Tchad passée à la postérité sous le nom de « Septembre noir ». Coïncidence ? Laurent Correau venait quelques heures plus tôt d’interroger un ancien Codos, un membre des comités d’autodéfense, le mouvement rebelle sudiste, témoin des terribles exactions de l’armée. L’homme qui dirigeait alors les opérations militaires s’appelait Idriss Déby, l’actuel chef de l’Etat.
Déby prudent
Hissène Habré jugé depuis ce lundi à Dakar, au Sénégal, pour « crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture », impliquera-t-il son ex-commandant en chef des forces armées ? Pour l’instant, l’accusé a décidé de saboter les audiences. Après l’avoir servi fidèlement pendant six ans, Idriss Déby, devenu son conseiller pour la défense et la sécurité, a pris la fuite en avril 1989. Il risquait à son tour d’être assassiné après la défection de son propre cousin, Hassan Djamous. En cas de trahison d’un de ses membres, Habré, dans sa folie paranoïaque, punissait tout un clan. Un an plus tard, Déby, à la tête d’un nouveau soulèvement parti du Soudan voisin, le chasse du pouvoir, avec l’aval de la France.
« Le gouvernement tchadien a toujours aidé la justice internationale », souligne Reed Brody. Il a notamment levé l’immunité de Hissène Habré dès 2002. Il a autorisé ses victimes à consulter les archives de la DDS, sa terrible police politique, et permis à la justice belge, saisie au nom de la compétence universelle, d’enquêter sur son territoire. Il fait aussi partie des bailleurs des chambres africaines extraordinaires, le tribunal mis en place par l’Union africaine.
Mais à l’approche du procès, on a senti une certaine frilosité de la part des autorités tchadiennes », poursuit l’avocat américain.
Par peur de voir Idriss Déby cité à la barre ? Il y a quelques mois, il s’était déclaré prêt à être entendu si la cour le jugeait nécessaire. Une offre qu’il n’a pas renouvelée depuis. Autre signe : la télévision d’Etat tchadienne, qui s’est arrogé l’exclusivité de la couverture du procès de l’ancien président, a décidé de retransmettre les images en différé. Une décision critiquée par des journalistes tchadiens qui redoutent des actes de « censure ».
Source : Nouvel Obs