Histoire de Terres

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Contribution Djibril DIOP - Affaire construction de maisons  autour de l'aéroport LSS
© Malick MBOW

Prés de 350 maisons ont été construites en toute illégalité dans les servitudes de l’aéroport. Face au non respect des règles sur les emprises au niveau des aéroports, l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) a enjoint l’Etat du Sénégal à rétablir immédiatement les emprises si on tient encore à notre fameux sésame d’aéroport international. Alors, l’Etat du Sénégal, coutumier des faits mais feignant de les ignorer, s’emploie à jouer les pompiers en détruisant les maisons construites dans la zone d’emprise de l’aéroport. Naturellement, l’impact social est sans précédent : les sénégalais qui ont construit leurs maisons dans ces zones en principe interdites devront être dédommagés par nos propres deniers qui suffisent à peine pour régler nos nombreux problèmes.
Certains Sénégalais disent, en rigolant : « peut être que le prochain pouvoir autorisera d’autres sénégalais à construire dans les mêmes servitudes ou en zones totalement inondables là où le pouvoir actuel (pompier de service) est entrain de détruire ! Qui vivra, verra. »
Dans un Etat de droit, mais encore, un Etat tout court mais qui se respecte, comment peut-on laisser des Sénégalais construire sur des zones en principe réservées à l’aéroport ? Où sont les organismes de contrôle ? Qui a donné les autorisations ? Quelles entreprises ont fait les travaux ? A quoi servent les mairies lorsque des actes pareils se passent dans leurs territoires ? Qui a vendu ? Une remise en cause totale et entière de l’organisation et la coordination entre les services étatiques se posent.
De façon plus globale, c’est la gestion des terres et leur allocation qui se pose. Le domaine maritime, les servitudes de l’aéroport, les zones inondables et donc non constructibles, tout est à revoir. A l’heure où le Sénégal aspire à l’émergence, peut-on avoir un brin d’espoir en voyant des comportements de cette gravité.
Mais qu’est ce qui nous pend vraiment au nez ?
L’heure est gravissime. Si des individus, mus par la cupidité et l’appât du gain, font absolument ce qu’ils veulent en termes de construction en érigeant des lotissements, des maisons sur des zones réservées à l’aéroport de Dakar Yoff ou des zones inondables, alors l’Etat a vraiment quelque chose à se reprocher.
De nombreux dangers nous guettent. Et une fois de plus, tous les regards se tournent vers le « maslaa ». Cette caractéristique bien sénégalaise qui veut laisser les problèmes pourrir pour après venir pleurnicher et faire semblant d’ignorer les dangers qui se profilaient. On peut citer le naufrage du bateau « le Joola » le 26 Septembre 2002. On peut aussi citer le cas des bâtiments qui ne respectent aucune norme de construction et qui s’effondrent très souvent comme des châteaux de cartes. Sans le souhaiter, le même type d’accident que celui du « Joola » pourrait se reproduire à l’aéroport de Dakar tout simplement parce que des Sénégalais inconscients et égoïstes ont construit leurs maisons sur les servitudes dédiées à l’aéroport. Comment pourrait-il arrivé ? Et bien, il suffit qu’il y ait un accident à l’atterrissage ou au décollage (que DIEU nous en préserve) pour que les maisons situées dans l’emprise de l’incident soient à risque. Où est l’autorité ?
La constante dans toutes ces situations est que l’Etat est dans la réaction plutôt que de prévoir et prévenir. On dit souvent que « gouverner, c’est prévoir », d’autres disent que « gouverner, c’est agir ». Au Sénégal, on peut presque dire que « gouverner, c’est subir ».
La loi sur le foncier régit clairement les conditions d’attribution des terres, quelles terres allouer, qui a le droit d’octroyer des terres, etc. La réalité, elle, est toute autre. Personne ne sait dire dans quel cadre les terrains attribués dans les servitudes de l’aéroport l’ont été. Terrains du domaine national ? Propriétés des autorités coutumières ? Les faits montrent qu’au Sénégal, la notion de bilan est totalement inconnue. On fait des lois mais on ne se soucie pas de leur applicabilité (est ce qu’elles sont applicables ou non ?), leur application (si elles sont applicables, sont-elles effectivement appliquées ?) ou non encore moins de leur efficacité. La loi sur le foncier en est un exemple patent.
C’est pourquoi, la loi de décentralisation promet. Des collectivités locales qui devront octroyer des terres en toute autonomie. On ne demande qu’à voir mais à vrai dire, ça ne sent pas bon.
Les spécialistes des questions foncières disent qu’en matière de foncier, il y a 03 volets :
– Le Titre foncier : le fameux sésame qui établit la propriété d’un bien foncier à un acheteur
– Le domaine de l’Etat qui comprend le domaine public (c’est-à-dire l’espace maritime, l’espace aérien, le sous sol, aéroports) sur lequel même l’Etat lui-même n’a pas le droit d’y faire n’importe quoi, et le domaine privé
– Le domaine national : forêts classés, zones d’habitation, zones urbaines, zones pionnières.
Les maisons construites dans les emprises de l’aéroport ne peuvent pas être considérés comme du titre foncier quand même ! Sinon, qui en est le propriétaire ? Si ce n’est pas du titre foncier, comment les surfaces en question ont pu se retrouver sur le marché ?
Ce qui nous attend
Les enjeux sont colossaux. Tout d’abord, la démographie en Afrique croit de façon galopante, et demain nous aurons besoin de terres pour l’élevage, pour l’agriculture, pour construire des habitations, des espaces pour respirer (des espaces verts notamment pour dépolluer). La question qui nous taraude l’esprit est : comment émerger si nous n’avons même pas conscience des vrais enjeux du développement, si l’on n’est pas capable de prévenir, de mettre des règles d’organisation de base, de contrôle et de les faire appliquer, de sanctionner.
Les enjeux climatiques et la mondialisation font qu’aujourd’hui l’importance de la terre est devenue critique. Les pays développés le savent et viennent de plus en plus nous piquer nos terres pour faire des biocarburants, cultiver des produits qui ne sont même pas consommés dans notre pays. Les populations sont sacrifiées : elles n’ont plus accès à la terre pour l’élevage, l’agriculture, pour construire, pour respirer. Il est très difficile de croire que nous sommes réellement au fait des enjeux de développement. Alors, ou les acteurs d’aujourd’hui nous amènent inconsciemment droit dans le mur ou ils font ce qui les arrangent en matière de « foncier » et non ce qui arrangent le pays.
Pour faire simple et court, il faut tout revoir. Le problème des constructions qui sont entrées dans les servitudes de l’aéroport Dakar Yoff n’est qu’une partie du grand bordel qui règne au Sénégal. Le Sénégal est un pays pauvre aspirant à se développer. Si on distribue nos terres n’importe comment (à des grosses multinationales, d’autres Etats tels la Chine, la France, accaparement des terres par des Sénégalais, etc.), viendra un jour une crise alimentaire sans précédent, des problèmes d’accès aux terres pour construire sa maison. Le Sénégal a déjà très mal géré nos ressources maritimes notamment avec les concessions accordées aux bateaux étrangers notamment européens et aujourd’hui, les pêcheurs sénégalais et les sénégalais lamba le ressentent lourdement. Les constructions érigées dans le domaine maritime (sur la corniche) sont encore une autre histoire. Le sous-sol nous a totalement échappé et ne profite qu’aux compagnies minières étrangères.
Ce qui est clair c’est que ça ne marche pas. Le contrôle de l’Etat est en faillite. Beaucoup de lois sont votées mais apparemment sans analyse poussée de nos spécificités. En grande partie, nos lois sont calquées sur celles des autres (enfin, soyons précis : elles sont calquées sur les lois françaises). Il n’y a aucun retour d’expérience sur les lois votées. Rien. Pour le problème posé, une réforme foncière appropriée est absolument nécessaire.
Les faits sont têtus. Deugue nékhoul.
Djibril DIOP

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