Laissez-nous notre Dantec

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Dans sa livraison du mardi 10 mai, le quotidien Le Témoin consacrait une page entière au patrimoine historique et stratégique de la santé, l’hôpital Aristide Le Dantec en l’occurrence, sur lequel des promoteurs étrangers et courtiers nationaux établis, comme toujours, dans les arcanes des instances de la République, ont jeté leur dévolu pour s’en emparer totalement ou alors arracher 50% de ses terres, soit 3 hectares, afin d’y dresser certainement des tours et appartements qui seront cédés à prix d’or.

SANTE – Léopold Sédar Senghor (1960-1981), premier président de la République du Sénégal, rêvait de faire de Dakar une ville comme Paris en 2000, avec un hôpital Aristide Le Dantec (HALD), toujours haut perché sur plateau. Sur la rive de l’Atlantique. Dans l’attente de malades venant de la sous-région et d’ailleurs dans le monde pour s’y faire soigner. Humer l’air marin et prendre le soleil, richesse inépuisable du Sénégal.

Senghor rêvait, disions-nous. Mais, lui au moins avait un rêve pour son pays. Son successeur, Abdou Diouf (1981-2000), épuisé par les ajustements structurels, freiné par les politiques d’austérité, angoissé par une démocratie montante et en ébullition dont il fut l’artisan, eut plus de cauchemars que de temps pour rêver. Mais jamais, dans ses cauchemars les plus sombres, il n’a pensé délocaliser Dantec et vendre ses terres dont le titre foncier appartiendrait encore à Aristide Le Dantec.

HALD, entre histoire et stratégie médicale 

On nous dira que le premier président et son successeur venaient respectivement de Joal et Louga et qu’en bons « hôtes » des Dakarois, ils tenaient à leur laisser leur hôpital qui était déjà un centre de formation médicale en 1918, le premier en Afrique de l’Ouest, après sa réception en 1913, avant quand le monde occidental ne croule sous les bombes de la première guerre mondiale (1914-1918). Ne s’y trompant pas, Senghor avait fait de Dantec, le plus naturellement du monde, un Centre hospitalier universitaire (CHU), cinq ans après l’accession à la souveraineté internationale (1960). Une démarche logique. Il avait la suite dans les idées. Abdou Diouf n’y changera rien.

C’est avec le Président Abdoulaye Wade, libéral autoproclamé, contrairement au socialiste Diouf qui a libéralisé à tour de bras sous les injonctions de Bretton Wood, que l’idée de délocaliser l’HALD sera avancée et que bien entendu la vente de ses 6 hectares sera envisagée, théorisée même par des libéraux en herbe dépourvus de toute culture patrimoniale. L’idéologie alimentaire née de la perversion de la démocratie sénégalaise et le raccourci pris par les libéraux mettaient Dakar sur orbite pour une vente tous azimuts.

Le Lycée Van Vollenhoven, la caserne des sapeurs-pompiers à Malick Sy, le stade Assane Diouf, les bases françaises à Bel-Air et Ouakam, le champ de tir de l’armée à Ouakam, l’emprise de l’aéroport Yoff, la corniche, bref, partout où il y avait des terres, de la stratégie, une histoire, un patrimoine, les libéraux jetteront leur dévolu, développant une politique inouïe de parcellisation et vente de terrain. Faisant exploser les loyers et projetant le Sénégal dans une dynamique immobilière et urbaine sauvage, sans vision, sans objectif, sans plan, sans aménagement, sans assainissement. Le libéralisme sénégalais voyait le jour, les populations en payent encore chèrement le prix et il faut croire que ce n’est pas fini.

Le Président Macky Sall, ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale sous Wade, libéral comme Wade, laissera-t-il prospérer les mêmes pratiques qui sont toujours là ? La mer n’est plus visible sur la corniche. Bientôt, elle n’appartiendra qu’aux riches et étrangers qui pourront se payer à coûts de centaines de millions ou milliards de francs CFA les appartements des tours ou châteaux qui y seront construits. Les pauvres confinés dans les ghettos iront à leur plage. Le Sénégal, à deux vitesses, aura son Dakar/Dubaï pour les privilégiés, les 150 mètres carrés et encore pour la plèbe.

La promesse du Président Macky Sall

Mais faudrait-il encore que les nantis disposent d’un hôpital de quatrième génération digne de leur tirelire, même s’ils vont se faire soigner ailleurs. Ont-ils d’ailleurs besoin d’un hôpital Dantec sur 6 hectares ? C’est ainsi que l’idée d’une partition à parts égales, pour couper la poire en deux et donner à chacun sa part du gâteau peut faire son chemin.

C’est ce qui semble se dessiner avec l’HALD, que le chef de l’Etat avait cependant voulu, en 2014 lors de l’inauguration de l’unité de cardiologie, voir reconstruit et restitué flambant neuf aux Sénégalais et au personnel médical. Des promesses avaient été faites. Il était question de donner à Dantec un standing de 4e génération, en le dotant de plateaux médicaux haut de gamme et compétitifs, d’apurer sa dette, d’assurer l’efficacité des subventions, de redéployer le personnel, d’harmoniser les salaires. Bref de redorer le blason de l’hôpital et d’en faire le fer de lance du système médical sénégalais.

Cette promesse venait rejoindre une autre, précédemment exprimée. C’est ainsi que l’on retrouve la trace d’un architecte sénégalais, Malick Mbow pour ne pas le nommer, qui a planché 12 ans sur le projet, allant d’échanges aux validations de son plan jusqu’à la validation nationale et donc le Ok du chef de l’Etat pour le démarrage des travaux l’HADL new-look et sur 6 hectares. Mieux, son projet a été validé par la Commission nationale de validation. Rappelons que celle-ci regroupe le ministère de la Santé et l’Action sociale, la Faculté de médecine de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le ministère de la Finance et du Budget. Comment comprendre alors que l’on fasse fi de ce projet, qu’on aille chercher ailleurs un architecte alors qu’un un enfant du pays ayant une expérience avérée dans le domaine de l’architecture hospitalière a fait ses preuves ailleurs, en France notamment ? Quand on sait qu’il a de plus des protocoles d’accords avec le dit hôpital, avec le FONSIS, qu’il a reçu les félicitations du ministère de la Santé et de l’Action sociale après la validation à travers un courrier dans lequel il lui est dit et donc bien indiqué qu’il est le dépositaire du projet architectural, on ne peut que se poser des questions.

Surtout quand se présentent tout d’un coup plusieurs autres offres architecturales proposant un hôpital sur le même site, sans garantie de l’Etat et encore moins une hypothèque sur le foncier.

Le FONSIS que l’on attend sur les questions immobilières de Bambilor et ailleurs, dans le cadre du programme 100 000 logements du Président Sall, foncerait tout droit, selon nos sources, vers une précipitation inédite dans cette aventure de la vente du site. Des géomètres ont terminé leur travail de découpage, nous dit-on, soulignant même que le monument classé, en l’occurrence la maternité, est démoli alors que le projet validé par la Commission Nationale de validation le prenait en charge et en faisait le Musée de la Santé. Commission nationale de validation qui soutenait que l’hôpital validé serait reconstruit sur les 6 hectares, dont il occuperait les 4 hectares, les autres 2 hectares restant dans le patrimoine de L’hôpital Aristide le Dantec.

Quand des vautours crachent sur un espace de vie

Mais, c’est sans compter avec le démon, l’argent qui tourne les têtes. Voilà qu’on reparle de délocalisation de Dantec et bien sûr de la vente de son assiette foncière. Estimée à plus de 150 milliards, les 6 hectares font saliver la panse des courtiers et autres personnes tapies dans l’ombre, prêtes à s’empiffrer et se payer des gastralgies qu’ils iraient soigner en Europe, à moins qu’ils ne veuillent pousser leur rot, pour finalement arracher 3 hectares. Ce qui changerait de facto tout le travail fait jusqu’ici. Un hôpital, ce n’est pas que des murs, ou encore que des plateaux médicaux et un lieu d’incinération. C’est aussi un espace de vie, de promesse de vie, de victoires sur la maladie. Mais faut-il encore être Dakarois, passionné de son histoire et visionnaire, et surtout concerné pour savoir que l’environnement dont le malade, ses accompagnants, les soignants et travailleurs, ont besoin dans un hôpital de quatrième génération dans le monde d’aujourd’hui et de demain est un espace pour la vie et non du béton armé et seulement ça.

Charles FAYE

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