
«Ces bâtisses sont une nouvelle vision de l’architecture du bâtiment et de l’habitat»
Mouhamadou Nabi Kane est un architecte-urbaniste. Il est aussi le Secrétaire général de l’Ordre des architectes du Sénégal. Dans cet entretien, à bâtons rompus, le spécialiste du bâtiment revient sur le pourquoi de cette nouvelle tendance de bâtisses à Dakar, la différence entre les nouveaux et les anciens édifices, les normes de sécurité, le coût, entre autres.
Monsieur Kane, vous êtes architecte-urbaniste. Selon vous, qu’est-ce qui explique cette nouvelle tendance de construction qui foisonne un peu partout à Dakar ?
Primo, cette tendance s’explique par le fait que les clients deviennent de plus en plus exigeants. Ils sont devenus cultivés. Ils voyagent beaucoup et voient de jolies choses ailleurs. Une fois au pays, ils ont besoin d’avoir des ouvrages de qualités et des structures esthétiques. Avec le temps, les immeubles changent aussi de physionomie. Avant, les immeubles d’habitations étaient plus en vogue. Maintenant, ce sont des immeubles tertiaires ayant traits au bureau qui dament le pion. Secundo, avec l’arrivée de jeunes architectes formés à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, au Canada, en France ou en Italie, le changement s’est accentué. Ces jeunes architectes reviennent au pays avec une nouvelle vision de l’architecture du bâtiment et de l’habitat. Tertio, le besoin d’empreinte des propriétaires de ces immeubles sort de l’ordinaire. Aussi bien le maître d’ouvrage que l’architecte, chacun veut sortir de l’ordinaire.»
Mais, est-ce que ces bâtiments répondent aux mêmes normes de sécurité que les anciens ?
«Bien sûr. On ne peut pas faire des immeubles pareils, sans au préalable avoir des bureaux de contrôle pour les mesures de sécurité. D’habitude, ce sont de grands immeubles. Soit ce sont des Immeubles de grandes hauteurs appelés Igh. Soit ce sont des établissements du public. Ces établissements doivent obligatoirement avoir l’aval du bureau de contrôle pour gérer tout ce qui ressort de la sécurité. Ce, aussi bien la sécurité incendie que la sécurité d’évacuation. Donc, ces immeubles répondent nécessairement aux normes de sécurité établies pour la construction de tels édifices. Maintenant, il y a d’autres normes de sécurités qui s’intègrent à ces bâtiments ? parce qu’on parle, de plus en plus, de bâtiments intelligents intégrant les nouvelles technologies qu’on ne retrouvait pas dans les anciens bâtiments. Ce travail demande une complicité et un suivi de spécialistes. C’est pourquoi, nous avons tendance à répondre aux besoins actuels en termes de nouvelles technologies. Autre chose, ces immeubles sont dotés de système de surveillance, dont des vidéos de surveillances et des détecteurs d’incendie qu’on ne trouvait pas dans les anciens bâtiments. Tout cela entre dans l’évolution des nouvelles technologies.
En termes de coût, qui des nouveaux ou anciens édifices sont-ils plus chers ?
«La cherté d’un immeuble dépend des facteurs du niveau économique d’un pays. Elle peut aussi dépendre de la destination du bâtiment, du coût du matériel, des éléments qui le composent et de la qualité de l’ouvrage. Ces facteurs déterminent le coût d’un ouvrage. Il est vrai que ces immeubles peuvent avoir des coûts moindres parce que les clients ou les maîtres d’ouvrages voyageant beaucoup ont tendance à importer par eux-mêmes leurs propres matériaux. Au lieu d’aller s’équiper au niveau des équipementiers ou des fournisseurs locaux, ils préfèrent faire directement un package sur leurs immeubles. Ils vont ainsi en Italie, au Portugal ou en Chine pour faire leur package à moindre coût. Car acheter le matériel au Sénégal peut être plus cher. Globalement, la plupart des personnes qui font des immeubles R+5 préfèrent partir à l’étranger pour s’équiper en matériels. Ce qui peut donner un gain de 20 à 25%.»
Qu’est-ce qui explique la diversité du design, de la taille, des couleurs, entre autres ?
Aujourd’hui, on a tout type de bâtiment dans Dakar. Cela démontre, encore une fois, la diversité des écoles de pensée. L’architecture, c’est des mouvements de pensée et des mouvements philosophiques. Cela dit, chaque architecte provient d’une école de pensée. Il y a ceux qui viennent de l’école de pensée senghorienne, parlant de l’architecture africaine pure, d’inspiration soudano-sahélienne. C’est une architecture négro-africaine. Ces architectes restent classiques dans la fonctionnalité. Il y a aussi cette autre tendance qui estime que l’architecture n’a pas de frontière. Les partisans de cette école estiment que l’on peut s’ouvrir aux autres. C’est une tendance comparable aux créateurs de mode. C’est la modernité. L’architecture est le premier symbole, le premier révélateur d’une culture. C’est en fonction de l’architecture d’un peuple qu’on détermine l’évolution d’un peuple.Cependant les deux ont des limites et sont critiquables.
Source : Presse