Confinée depuis 2016 par une maladie qui a réduit sa mobilité, l’artiste peintre sénégalaise, Fatou Kiné Diakhaté a transformé sa chambre d’hôpital en atelier de peinture. Les œuvres réalisées entre plusieurs interventions chirurgicales ont cristallisé les attentions lors de la semaine africaine de l’Unesco à Paris. Retour sur la trajectoire sinueuse d’une peintre au sommet de son art.
« L’art pour l’art peut être beau, mais l’art pour le progrès est plus beau encore » ! L’artiste plasticienne sénégalaise, Fatou Kiné Diakhaté a fait sienne cette maxime de Victor Hugo. Plus qu’une matérialisation abstraite d’une pensée pour susciter une émotion passagère, son art est le prolongement d’un combat sans relâche pour la vie. Celle-là même qui ne cesse de lui donner de terribles coups.
Confinée depuis 2016, bien avant le monde entier, elle a célébré de fort belle manière son « déconfinement », le 23 mai dernier lors de la semaine africaine de l’Unesco à Paris. Exposant au pavillon du Sénégal, ses œuvres (une dizaine de sa nouvelle collection de tableaux) aimantent les regards par leur profondeur et leur originalité. Le ballet est incessant : ministres, ambassadeurs et visiteurs se bousculent pour admirer ces chefs d’œuvres.
Si la beauté de ses tableaux attire de prime abord, l’histoire qu’ils expriment et leurs difficiles conditions de création sont encore plus fascinantes. Et pour conter la petite histoire qui fait lâcher un « Waoow » à l’auditoire, qui de mieux indiqué que le Dr Massamba Guèye, son ami de toujours.
« Ces œuvres sont peintes par cette brave dame. Elle a transformé sa chambre d’hôpital en atelier et a peint tous ces tableaux alors qu’elle traversait des moments difficiles. Elle a subi huit opérations chirurgicales mais cela ne l’a pas empêchée de nourrir sa passion pour l’art. Elle a vécu le plus long confinement. Depuis 2016 elle n’a pas d’interaction avec le monde et aujourd’hui elle vit son déconfinement », narre le conteur de Kër Leyti.
L’art-thérapie
Tous les regards se braquent en même temps vers la dame au légendaire couvre-chef (un chapeau Fez à tige encore appelé bonnet carré). Sur son fauteuil roulant électrique, Fatou Kiné ne peut plus retenir ses larmes. « Ces dernières années ont été très dures mais l’art m’a guéri », confie-t-elle, avec des trémolos dans la voix. Pour la Saloum-Saloum de 55 ans (elle est née en 1967), l’art est plus qu’une passion. C’est une « thérapie » ! Mieux encore, c’est toute une « vie »…qui prend ses racines à Kaolack.
Bercée par les méandres du fleuve Saloum et des notes rythmées de Ngoyane, elle grandit sous l’aile protectrice de sa grand-mère, Mame Bineta Diouf, sa muse. Très jeune, Fatou Kiné témoignait déjà un grand intérêt pour la création artistique. Elle créait elle-même ses boucles d’oreilles. Cette passion naissante qu’elle a entretenue grâce à l’appui indéfectible de son professeur de dessin El Hadj Diagne, deviendra plus tard une profession. En effet, après le baccalauréat en 1983, elle intègre l’Ecole des Beaux-arts (ENA) de Dakar. Ceci, contre l’avis de sa mère. Mais, ses résultats finiront par mettre tout le monde d’accord. Elle obtient haut la main son diplôme en art et environnement en 1988, en consolidant ses connaissances théoriques et pratiques en peinture, en artisanat et en design.
Les empreintes de Fatou Kiné Diakhaté encore visibles à Dakar
Si pour certains, l’art ne nourrit pas son homme, Fatou Kiné, elle, a très tôt su tirer son épingle du jeu grâce à sa passion qui lui a permis de côtoyer et collaborer avec plusieurs grands noms de l’architecture sénégalaise : Pierre Goudiaby Atepa, Jean-Charles Tall (cofondateur du collège universitaire d’architecture de Dakar) ou encore Marianne Tondut fondatrice de l’agence Déco-System où elle a fait un stage comme artiste décoratrice.
En 2000, du haut de ses 33 ans, elle décide de voler de ses propres ailes. L’atelier FDéco est porté sur les fonts baptismaux et est parrainé par son mentor Pierre Goudiaby Atepa. Regroupant un collectif d’artistes plasticiens, FDéco finit par s’imposer en se faisant une place de choix dans l’univers de la décoration et de l’aménagement urbain sénégalais. Elle décroche ainsi des marchés dans les grands chantiers de l’Etat du Sénégal. Les fresques murales le long de la corniche de Dakar, à la mosquée de la Divinité et des espaces verts de la capitale sénégalaise, portent l’empreinte de Fatou Kiné Diakhaté. A la place du souvenir Africain aussi sa création en poterie trône toujours et défie le temps.
En 2002 également, elle gagne le marché de la décoration des « cases des tout-petits », structures dédiées à l’éducation des petits-enfants à Dakar et dans d’autres villes du Sénégal. Sa cote de popularité grimpe, au plan national comme international, Fatou Kiné est adulé. Elle empile les trophées. Couronnée premier prix en catégorie peinture lors de la première édition du festival Kermel en fleurs (2005), organisé par l’artiste plasticien Kalidou Kassé, elle est choisie (en Septembre 2009) pour représenter le Sénégal à la première édition du Forum mondial de l’Unesco sur la culture et les industries culturelles, à la Villa Reale à Monza, en Italie.
A la coupe du monde 2010, faisant partie des artistes d’African Village, son tableau Le Bonheur a été acheté par Coca-Cola lors d’une exposition à Pretoria (Afrique du Sud).
Un combat féministe en toile de fond
L’ancienne Secrétaire générale du réseau des entrepreneurs culturels du Sénégal fait rejaillir son combat en tant que femme dans ses tableaux en acrylique. Cet engagement pour la cause féminine la porte au-devant de la scène aux côtés du Caucus des femmes leaders dans le combat pour le vote de la loi sur la parité en 2011. Elle offre ses tableaux pour la campagne de sensibilisation qui a précédé le vote de cette loi. Deux de ses tableaux ont été achetés au prix fort lors de la vente aux enchères par deux structures de l’Etat du Sénégal. Le premier titré Égalité des chances (2009) est acheté par le ministère de la Femme, l’autre intitulé Symbole (2009) a été acquis par le ministère de la Culture et est exposé, depuis, au Monument de la Renaissance africaine à Dakar.
Artiste pluridisciplinaire, l’œuvre de Fatou Kiné est intrinsèquement liée aux traditions de sa région maternelle du Sine-Saloum. Mettant ses talents de designer d’objets d’art à profit, elle utilise souvent des calebasses ou des layous (vannerie traditionnelle en fibre de rônier). « Le ‘’Layou’’ c’est le cycle de la vie. Chez nous, il accompagne l’individu de la naissance à la mort », souffle-t-elle. Les couleurs chaudes choisies ne sont pas anodines. « C’est un hommage à l’Afrique », explique-t-elle.
Symbole de la résilience africaine célébrée par l’Unesco à Paris, F. K. Diakhaté lutte sans relâche contre de graves problèmes de santé qui ont mis sa carrière et l’évolution de l’atelier FDéco au stand-by. Mais elle n’est pas prête de déposer les armes (pinceaux, palette et chevalet). « Mon art, la peinture, a été une thérapie. Mes pinceaux et ma palette de couleurs sont mes fidèles compagnons aujourd’hui», se réjouit-elle toute souriante.
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