Dr Abdou Kane Diop : “Il n’y a pas assez de médecins au Sénégal”

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Le docteur Abdou Kane Diop est le médecin répondant de la clinique Cardio de Dakar.  Trouvé dans son lieu  de travail  lors  d’une soirée portes-ouvertes, il a jeté un regard sans complaisance sur le système sanitaire. Le praticien a abordé la fuite des cerveaux, le plateau médical, la prise en charge des pathologies et aussi le chômage des médecins qu’il juge incompréhensible. 

Docteur, quels sont les vecteurs  des maladies  cardiaques au Sénégal ?

Les vecteurs des maladies cardiaques sont bien présents au Sénégal. Selon l’enquête Steps, au moins 24% sont dues à l’hypertension artérielle. La part du diabète est de 21% avec  un pourcentage de  5,4% chez les sujets âgés de 45 et 59 ans, 12,2% de ces pathologies sont liées au cholestérol et 5,9  au tabagisme. En effet, les maladies coronariennes sont le premier motif d’hospitalisation en cardiologie avec 25% soit 542 patients par an. 7% de ces personnes sont vues en consultations soit 7892 patients par an au Sénégal.

“La sédentarité, le tabac, l’alcool, les aliments gras, les bouillons sont responsables de l’augmentation de la prévalence de ces maladies”

Les chiffres des pathologies cardiaques ne rassurent pas. Quelles en sont les causes ?

Les chiffres sont une photographie à un moment donné. Ces chiffres peuvent évoluer. On peut faire une étude, à un moment donné, les Sénégalais, d’une manière générale, se comportent d’une certaine manière. Et cela va se traduire en termes de pathologies nouvelles ou un signe qui se renforce ou pas. Donc, les chiffres, c’est juste une photographie. Le plus important à savoir, c’est notre mode de vie qui détermine certains types de pathologies. C’est ce qu’il faut retenir.

La sédentarité, le tabac, l’alcool, les aliments gras, les bouillons sont responsables de l’augmentation de la prévalence de ces maladies. C’est le mode de vie qui parfois peut amener certaines pathologies. Avant, on n’avait pas ça. Aujourd’hui, on en a parce que nous avons épousé un mode de vie qui n’est pas le nôtre. Et, la pression professionnelle fait que les gens ne font plus de sport et n’ont pas le temps de le faire.

 Une coronarographie, c’est quoi en termes plus simples ?

Quand on dit coronarographie, cela porte sur le coronaire. Ce sont des artères nourricières du cœur. Et, quand on parle de crise cardiaque, cela veut dire que les artères nourricières du cœur sont bouchées et le territoire qui était irrigué ne l’est plus donc n’est pas oxygéné parce que c’est le sang qui amène de l’oxygène. Donc à chaque fois qu’on a ce qu’on appelle médicalement un infarctus du myocarde, c’est parce que l’artère coronaire est bouchée. Derrière, il y a le tissu cardiaque qui commence à souffrir. Si on ne fait pas vite, ce tissu va mourir. S’il meurt, cela va créer des insuffisances cardiaques qui vont être très handicapantes. Donc cette machine qu’est-ce qu’elle fait ? Dès l’instant que le cardiologue suspecte un infarctus, on amène le patient ici. Cette machine est capable d’aller, de manière sélective, au niveau de cette branche coronaire pour la déboucher.

Qu’en est-il de  de l’infarctus cérébral ?

L’infarctus cérébral  provoque une paralysie.  C’est ce que  je viens d’expliquer pour le cœur, qui peut aussi arriver au niveau du cerveau. Soit parce qu’il y a un bouchon qui fait qu’une partie du cerveau ne fonctionne  plus  ou il y a un AVC hémorragique.

Pourquoi à chaque fois qu’il y a une crise on pense au cœur  et  non au cerveau ?

Ce sont des vaisseaux  pour le cœur et pour le cerveau. C’est pratiquement la même chose. Les mêmes facteurs de risques peuvent entraîner à la fois  un AVC  et une  crise cardiaque.

La prise en charge de  ces maladies est très coûteuse…

Nous obéissons à des règles. La tarification se fixe par arrêté ministériel. Il y a une loi qui fixe les prix sur une fourchette. Il y a, il faut le signaler, une possibilité de prendre la partie la plus basse de la fourchette. Mais la santé a un prix.

Il  y a l’hôpital, si on était, les seuls, on pourrait, nous accuser de non-assistance à une  personne en danger. Mais ceux qui n’ont vraiment pas les moyens des cliniques ont l’alternative des hôpitaux. Il y a un choix à faire entre  cinq plateaux. Il faut choisir en fonction de ses moyens. L’acte en tant que tel, les prix ne sont pas trop différents. C’est le cadre et les services  annexes qui font une différence par rapport à la facturation.

Est-ce qu’il y a une différence fondamentale entre les prix pratiqués au sein des cliniques et la prise en charge médicale à l’étranger ?

Imaginez-vous prendre deux billets d’avion pour vous et celui qui vous accompagne. A cela, il faudra ajouter les coûts  de l’hôtel durant tout le séjour.  On vous soigne, vous restez encore à l’hôtel pour un suivi. On vous enlève tout ça.  Votre fils n’arrête pas son travail  et vous restez chez-vous.

“La chirurgie à cœur ouvert se fait à Fann. Il y a  deux services pour adultes et pour enfants”

Mais  docteur il y a quand même des actes qu’on ne fait pas au Sénégal, la greffe du cœur par exemple. Qu’est-ce qui peut l’expliquer ?

La chirurgie à cœur ouvert se fait à Fann. Il y a  deux services pour adultes et pour enfants. Ceux qui partent,  ont vraiment envie de partir. Et, c’est leur choix qu’on respecte. La greffe est d’une banalité réconfortante. Ce n’est pas la chirurgie qui pose problème. Mais le coût des médicaments.  Des Sénégalais ont été formés pour le faire. Il y a certes un problème de législation qui se pose  mais ça va venir.

“ J’ai choisi de ne jamais quitter le Sénégal et je ne le ferai jamais à moins qu’on me chasse de ce pays”

La plupart des spécialistes dans le domaine médical sont frappés par ce qui est appelée ‘’ la fuite des cerveaux’’. Pourquoi  avez-vous choisi de rester ?

(il coupe) Je travaille dans le privé depuis 2001. Cela  fait 21 ans. Je me suis associé avec des collègues cardiologues pour ouvrir ce centre (NDLR : Clinique Cardio de Dakar). Dans ma promotion d’internat, nous étions 3. Les deux sont à l’étranger. Celui qui m’a formé, travaillait en France, il a tout fait pour que je parte là-bas. Mais j’ai refusé. Parce que le principe de base, depuis mon enfance, j’avais juré que je ne travaillerais pas hors du Sénégal. Moi je fais partie de ceux qui ont eu la chance de n’avoir fait que l’école publique, depuis le Ci (Cour initial) à l’école Pikine 11 jusqu’à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, jusqu’à ma spécialisation. J’ai tout fait au Sénégal. Cela veut dire que c’est le Sénégalais qui a payé mes études. Donc moi, je ne condamne pas ceux qui ont pris l’option d’aller travailler à l’étranger. Ils ont leurs raisons. Mais, moi, j’avais choisi de ne jamais quitter le Sénégal et je ne le ferai jamais à moins qu’on me chasse de ce pays. Et j’espère qu’on ne va pas me chasser.

Vous êtes resté, mais quelle est la valeur ajoutée que vous avez apportée dans ce domaine si l’on sait que les Sénégalais pour la plupart vont à l’étranger pour les pathologies cardiaques ?

C’est un problème de plateau technique sans doute. Mais nous sommes sur la bonne voie. D’ailleurs, il y a beaucoup de centres de cardiologie au Sénégal (privés, cabinets, cliniques) mais nous serons les seuls dans le privé à avoir une salle de coronarographie et d’angioplastie. Quand on parle d’anesthésiste-réanimateur, cardiologue, parfois les gens peuvent ne pas comprendre. Mais derrière la cardiologie, ce sont des soins d’urgence. Souvent le cœur n’attend pas. Quand on a une urgence médicale, on a besoin de réanimation, de réactions urgentes. Au-delà de la cardiologie, le projet est plus global. Juste que la partie cardio est la première phase d’une clinique qui va être centrée sur les nouvelles spécialités médicales.

Comme la cardiologie interventionnelle, mais l’année prochaine, il y aura d’autres spécialités et sous-spécialités qui posent problèmes au Sénégal qui amènent les gens à aller à l’étranger qu’on va essayer de regrouper ici. On va vraiment choisir des spécialités rares et pointues pour lesquelles, malheureusement, les Sénégalais sont obligés d’aller à l’extérieur.

L’absence d’un plateau technique adéquat est toujours déplorée. Votre centre est-il assez équipé pour prendre en charge ces cas critiques qui méritaient une évacuation sanitaire ?

En tout cas, toute pathologie cardiaque aujourd’hui qui n’est pas chirurgicale qui répond de la cardio, peut être prise en charge. Cela du début à la fin, depuis la consultation, les explorations, l’électrocardiographie, l’échographie, la coronarographie jusqu’à l’angioplastie, la réanimation … Nous pouvons prendre en charge tout ça. On n’a pas choisi de faire juste de l’échographie. On a la boucle en fait de l’intervention cardiologie médicale et interventionnelle.

La seule chose qu’on ne peut pas faire, c’est de la chirurgie à cœur ouvert. Cela fait partie des choses sur lesquelles on va travailler ultérieurement. Mais pour l’instant, on part de la simple consultation à l’angioplastie qui est le fait de mettre un ressort dans les coronaires pour les déboucher.

Pensez-vous que votre structure pourrait réduire le nombre d’évacuations médicales vers l’étranger ?

Nous proposons un plateau technique qui répond aux normes. Aujourd’hui, je peux dire qu’on peut prendre en charge un malade normalement.

“Un médecin qui chôme ne veut pas travailler”

La problématique du chômage des médecins, la fuite des cerveaux,  sont toujours au menu et malgré tout il y a un déficit dans les structures surtout en termes de spécialistes. Comment peut-on l’expliquer ?

Il n’y a pas assez de médecins au Sénégal. Il  n ‘y a aucune spécialisation qui ait suffisamment de médecins. On est encore loin du nombre escompté. Aussi, le peu qu’on a, on en perd une grande partie parce qu’ils vont ailleurs. Un médecin ne peut pas chômer. Un médecin qui chôme ne veut pas travailler.  C’est mon avis. Il n’y a pas que l’État. Moi, je suis directement parti vers le privé. J’étais interne on m’a demandé d’attendre. Je disais que je ne suis pas programmé pour être au chômage. Je n’ai jamais intégré ce mot dans ma tête.  C’est un problème d’état d’esprit et d’esprit entrepreneurial. Après on doit revenir sur l’environnement qui n’est pas souvent facile. Je veux parler des banques qui n’accompagnent pas assez. C’est donc la politique de santé qu’il faut revoir.

Les médecins du public passent beaucoup plus de temps dans le privé alors que  les jeunes ne trouvent pas de place. A cela, il faudra ajouter une prise en charge décriée dans le public…

Il y a encore des places. Je vous ai dit qu’il n’y a pas assez de médecins dans les structures publiques.  Il ne faut  pas confondre les hôpitaux Fann, Dantec, Principal et ce qui se passe dans les régions. Là-bas, on a un médecin et son adjoint. Pourquoi il y a chaque fois des accidents, tu as un gynécologue qui  draine toute une région. Il consulte, il opère. Il le fait  à tout moment.  Il est fatigué. On est largement très loin du compte. La médecine est une profession libérale comme les notaires, les avocats et autres. Moi je considère que l’Etat doit tout faire pour qu’on soit au niveau des Tunisiens, des Marocains…C’est d’ouvrir des centres privés avec un accompagnement des jeunes médecins. Si devant chaque centre hospitalier, l’Etat ouvrait un centre privé et accompagnait les jeunes médecins pendant cinq ans,  le problème de la santé serait réglé définitivement.

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