Le président turc Recep Tayyip Erdogan a de nouveau menacé de bloquer l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan, moins de quarante-huit heures après l’accord entre les trois pays. S’adressant à la presse en clôture du sommet de l’Alliance atlantique, à Madrid, il a sommé les deux pays nordiques de « prendre leur part » dans la lutte contre le terrorisme sous peine d’enterrer le mémorandum signé mardi soir.
Depuis mi-mai, Ankara bloque le processus d’élargissement aux deux pays en les accusant de protéger des combattants kurdes du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et des Unités de protection du peuple (YPG), qu’il classe parmi les mouvements terroristes. Mais mardi soir, les gouvernements turcs, suédois et finlandais ont signé un mémorandum d’accord ouvrant l’accès des deux nations nordiques à l’Alliance atlantique.
Jeudi, le président turc s’est exprimé pour la première fois depuis cette signature surprise. Et il a posé ses conditions. « S’ils remplissent leur devoir, nous soumettrons (le mémorandum) au parlement » en vue de son adoption. « S’ils ne le font pas, il est hors de question pour nous de l’envoyer au parlement… », a-t-il prévenu.
Un haut diplomate turc à Washington a assuré que le processus d’adoption pourrait intervenir au plus tôt fin septembre et pourrait attendre jusqu’en 2023, le Parlement entrant en vacances à partir de vendredi.
M. Erdogan a évoqué une « promesse faite par la Suède » concernant l’extradition de « 73 terroristes ». « Ils les renverront, ils l’ont promis. Cela figure dans des documents écrits. Ils tiendront leur promesse », a-t-il ajouté sans plus de détail.
« Chantage”
Stockholm a réagi jeudi soir en rappelant que ses décisions en matière d’extradition étaient soumises à une justice « indépendante ». « En Suède, la loi suédoise s’applique avec des tribunaux indépendants », a affirmé le ministre de la Justice Morgan Johansson dans une déclaration écrite transmise à l’AFP.
« Des personnes non-suédoises peuvent être extradées à la demande d’autres pays, mais seulement si c’est compatible avec la loi suédoise et la Convention européenne sur les extraditions », a-t-il insisté.
Recep Tayyip Erdogan n’a pas donné de précisions jeudi sur les 73 personnes visées, mais Ankara réclame depuis plusieurs années l’extradition de militants kurdes ou proches du mouvement guléniste exilés en Suède.
Le chef de l’Etat turc a également appelé la Finlande et la Suède à « compléter leurs lois » concernant la présence sur leur sol de membres du PKK et des YPG, qui opèrent aux frontières de la Turquie dans le nord de l’Irak et de la Syrie.
« Ce qui importe, c’est que les promesses données à la Turquie soient tenues », a-t-il insisté.
Au centre de toutes les attentions à l’ouverture du sommet de Madrid, alors qu’il menaçait d’opposer son veto à l’adhésion des deux pays, le président turc y est ainsi revenu en clôture.
Dans les couloirs du sommet, une source diplomatique européenne n’a pas hésité à parler de « chantage » à propos du chef de l’Etat turc qui a, d’autorité jeudi, occupé la scène de la plus grande salle de presse du sommet, succédant au chef de la Maison Blanche, Joe Biden.
« Droit international”
Selon le mémorandum signé mardi, la Turquie lève son veto à l’adhésion des deux pays nordiques à l’Otan en échange de leur coopération concernant les membres des mouvements kurdes concernés.
Dès le lendemain, Ankara avait déjà réclamé son dû, exigeant de la Suède et de la Finlande l’extradition de 33 « terroristes ». Toutes sont membres du PKK, considéré comme organisation terroriste par Ankara et ses alliés occidentaux, ou du mouvement fondé par le prédicateur Fethullah Gülen, que M. Erdogan accuse d’avoir fomenté la tentative de coup d’État de juillet 2016.
La demande avait été accueillie froidement à Helsinki et Stockholm.
« Toutes ces affaires ont été déjà résolues en Finlande », avait commenté le président finlandais, Sauli Niinistö.
Le ministère finlandais de la Justice a de son côté précisé n’avoir « pas reçu de nouvelles demandes d’extraditions de la Turquie ces derniers jours ».
La Première ministre suédoise Magdalena Andersson a pour sa part promis mercredi « de coopérer plus étroitement avec la Turquie concernant les listes des (combattants) du PKK ». « Mais nous continuerons bien sûr de respecter la loi suédoise et le droit international », ajoutait-elle dans un message posté sur Instagram.