À en croire Felwine Sarr, les puissances coloniales européennes, incluant le colonialisme français, ont œuvré pour la « destruction des bases culturelles des pays africains colonisées afin que ces derniers ne parviennent pas à se reconstruire »
La spoliation des ressources culturelles des pays africains colonisés était « au cœur des politiques des systèmes coloniaux européens », estime l’universitaire sénégalais, Felwine Sarr, qui voit en ces pratiques un « un projet élaboré » pour assurer la pérennité coloniale dans le continent, y compris en Algérie qui fête cette année le soixantenaire de son indépendance.
Dans un entretien accordé à l’APS en marge d’une rencontre débat animée récemment à Alger, Felwine Sarr a indiqué que les puissances coloniales européennes, incluant le colonialisme français, ont œuvré pour la « destruction des bases culturelles des pays africains colonisées afin que ces derniers ne parviennent pas à se reconstruire ».
Felwine Sarr est revenu sur le rapport qu’il a élaboré, en 2018, avec l’universitaire et historienne française Bénédicte Savoy, sur la restitution du patrimoine culturel africain pillé pendant la période coloniale, aux pays d’origine, et qui montre le nombre de biens culturels se trouvant dans les musées européens en France, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ou encore au Vatican.
Il a précisé que ce rapport a permis la restitution de biens culturels à des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Bénin, citant la dernière opération de restitution en date de 26 pièces de la France vers le Bénin à la fin de l’année 2021, en soulignant que « le nombre d’œuvres et de biens importe peu devant leur valeur morale et symbolique ».
L’universitaire évoque également, en parlant de ce rapport, une démarche qui a incité de nombreux pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, ou encore la République démocratique du Congo, à demander la restitution de leur patrimoine spolié, précisant que ce type de démarches « existe depuis les années 1960 sans aucune réponse des anciennes puissances coloniales ».
Ce rapport indique que 90% des œuvres d’art africaines se trouvent actuellement en dehors du continent (En Europe). Il rapporte que 90.000 œuvres ont été pillées par la France pendant la période coloniale et sont toujours conservées dans des réserves de musées comme celui du Quai Branly- Jaques Chirac qui renferme, à lui seul, 70.000 pièces de tous les pays d’Afrique subsaharienne sans exception.
Répondant à une question sur les biens culturels algériens, Felwine Sarr a précisé que ce rapport, élaboré à la demande du Président français Emanuel Macron, n’aborde pas les questions liées aux œuvres en provenance d’Afrique du nord, bien que présentes dans les collections publiques françaises.
Ces biens impliquent, selon lui, « des législations très différentes du cas de l’Afrique subsaharienne » et devront faire l’objet d’une « mission et d’une réflexion spécifique ».
Le ministre des Moudjahidine et des Ayants droits, Laïd Rebiga, avait indiqué, en janvier dernier, que l’Algérie est décidée à « récupérer tout son patrimoine historique et culturel de l’étranger », et de France notamment, comme spécifié dans les engagements mentionnés dans le programme du Président de la République, Abdelmadjid Tebboune.
Cette démarche a été entamée, selon le ministre, par la restitution des crânes des résistants algériens à l’invasion et la colonisation françaises. Le ministre avait également souligné que la récupération du patrimoine historique et culturel était « une des priorités de l’Etat algérien dans le traitement du dossier de la Mémoire ».
Pour sa part, le président français avait promis, en 2017, la restitution des biens culturels des pays d’Afrique subsaharienne, et avait chargé des membres de son gouvernement du suivi de cette démarche, alors que ce qui a été réellement réalisé se compte sur les doigts d’une main.
Du côté onusien, Unesco (Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture) affirme soutenir les pays africains dans leur combat pour la récupération de leur patrimoine pillé par les puissances coloniales.
Né en 1972 au Sénégal, Felwine Sarr a étudié l’économie en France avant d’enseigner dans les universités de son pays. En 2020 il s’installe aux Etats-Unis pour faire connaître les causes et les combats du continent et pour acquérir une expérience académique anglo-saxonne. Il enseigne actuellement en Caroline du nord.
Comme de nombreux intellectuels sénégalais, Felwine Sarr, penseur anticolonialiste, a été fortement influencé par la pensée du célèbre anthropologue Cheikh Anta Diop (1923-1986). Il aborde des sujets de recherche sur l’anthropologie, la philosophie, les études culturelles et postcoloniales.
Sélectionné parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde par le Time Magazine en 2021, il a publié de nombreux ouvrages dont « Afrotopia » (2016) et « La saveur des derniers mètres » (2021) en plus d’être éditeur, compositeur et musicien.