Sénégal : les héritiers d’Ousmane Sow en guerre contre le Guide du Routard

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Portrait d'Ousmane SOW - Artiste plasticien sénégalais © Malick MBOW
Portrait d’Ousmane SOW – Artiste plasticien sénégalais © Malick MBOW

Le plus célèbre des guides touristiques français attribue, à tort, la paternité du Monument de la renaissance africaine au sculpteur Ousmane Sow. Les héritiers attendent, a minima, des excuses.

Mis à jour le 11 août 2022 à 10:13
Le Monument de la renaissance africaine, le 21 juillet 2022, à Dakar. © Sylvain Cherkaoui/Anadolu Agency via AFP

Depuis sa conception, le Monument de la renaissance africaine érigé à Ouakam, sur l’une des iconiques Mamelles de Dakar, ne cesse d’alimenter la polémique. Dernière en date, celle qui oppose depuis quelques jours les héritiers du sculpteur sénégalais Ousmane Sow au célèbre Guide du Routard, édité par Hachette.

Dans son édition la plus récente sur le Sénégal, il est ainsi écrit : « Sur la deuxième colline s’élève le monument dédié à la renaissance africaine. Inauguré en 2010, il a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Voulue par Abdoulaye Wade et exécutée par le grand sculpteur Ousmane Sow (qui s’est ensuite brouillé avec Wade), cette grande sculpture haute de 52 mètres, figurant un couple africain avec son enfant, tous trois dressés vers le ciel, a suscité les critiques de toutes parts : l’opposition et la rue, dénonçant les fortunes englouties dans le projet (l’équivalent d’une vingtaine de millions d’euros, même si ce sont des ouvriers nord-coréens qui ont fait le gros œuvre en échange de terrains dans Dakar !), un collectif d’imams critiquant l’apparence dénudée de la femme représentée et le caractère « non islamique » de l’ensemble, sans compter que Wade touchait une partie des recettes des visites… C’est comme si Mitterrand avait touché des royalties sur la Grande Pyramide ou Pompidou sur le centre Beaubourg… Le style rappelle l’époque du « réalisme socialiste »… »

Légèreté et amateurisme

Rien de bien surprenant dans ce texte pour les habitués à la prose des Guides du Routard, entre légèreté et amateurisme. Sauf qu’attribuer le Monument de la renaissance à Ousmane Sow, c’est commettre une erreur plus que dommageable. Certes, le sculpteur avait réalisé la maquette du projet initial, mais face aux exigences et aux idées du président Wade, il ne l’avait jamais véritablement rendue.

L'Homme Libre, par Ousmane Sow. © DR / Maison Ousmane Sow
L’Homme Libre, par Ousmane Sow. © DR / Maison Ousmane Sow

JE DEMANDE À L’AVANCE PARDON AUX SÉNÉGALAIS POUR CE QU’ILS VONT VOIR

En 2009, il nous disait ceci, sans amertume, mais avec fermeté : «  À l’origine, c’était mon projet. Je voulais créer un lieu vivant – et son pendant aux États-Unis. J’en avais parlé à Abdoulaye Wade, quand il n’était pas encore président, un jour où je mangeais chez lui. Plus tard il m’a dit qu’il voulait faire une statue plus grande que celle de la Liberté, à New York, sans même se demander si le sol pouvait la porter. Aujourd’hui, je demande à l’avance pardon aux Sénégalais pour ce qu’ils vont voir. Les Nord-Coréens sont en train d’apprendre à leurs dépens que réaliser une sculpture avec un paysage, ce n’est pas faire le portrait de Kim Il-Sung ! »

Une maquette enfermée dans un placard

L’ancienne compagne d’Ousmane Sow, Béatrice Soulé, se souvient très bien de l’histoire. « La maquette conçue par Ousmane avait été montrée à Viviane Wade et on attendait des nouvelles du président, raconte-t-elle. Un jour, le téléphone sonne : c’est Wade qui veut une photo du projet. Je la lui envoie. Le lendemain, on va manger aux Almadies et le serveur félicite Ousmane pour la pose de la première pierre. Dans le journal, c’est la photo de la maquette du monument actuel, apparemment dessinée à l’ordinateur par l’architecte sénégalais Pierre Goudiaby Atepa ! À notre retour à la maison, Ousmane a enfermé sa maquette dans un placard et il est devenu mutique sur le sujet. Il ne voulait plus en entendre parler. »

À LIREQuand le Sénégalais Ousmane Sow célèbrait la résistance indienne

Contrairement à ce qu’affirme le Routard, la défiance du sculpteur vis-à-vis du président s’est cristallisée plus tard autour de sa politique, et non à propos de cette affaire personnelle.

Rectificatif demandé

Quoiqu’il en soit, l’erreur du Guide français a fait bondir les héritiers du plasticien, qui ont écrit aux éditeurs pour faire part de leur mécontentement. « Ces informations, outre qu’elles sont totalement erronées, sont dommageables à Ousmane Sow étant noté que le rédactionnel afférent fait état à l’égard du dit monument de « critiques de toutes parts », de « fortunes englouties », d’un caractère supposément « non islamique », de « détournement de royalties », soutiennent David Sow et Ndeye Marina Sow. À cela s’ajoute une parenthèse sur l’état supposément dégradé des relations du précité avec la présidence du Sénégal, commentaires négatifs et sans fondement qui n’ont d’évidence rien à faire dans un guide touristique tel que le vôtre. »

Remontés, ils posent quelques exigences. « Sans délai ; intervenir pour que soit supprimé le nom d’Ousmane Sow, et s’il y a lieu les commentaires dénoncés ci-dessus, partout où ce nom ou ces commentaires figurent, dans tous les supports de communication sous votre contrôle dédiés à ou reliés à votre guide (en particulier sur le net). Dans les meilleurs délais ; insérer un feuillet rectificatif dans l’intégralité des exemplaires en stock de l’édition actuelle du guide en cause ; y annoncer la suppression future des mentions ici dénoncées, lors d’édition(s) à venir. À terme ; supprimer à l’occasion de la prochaine édition, en tous exemplaires futures du dit guide, toute référence au nom et à l’œuvre de M. Ousmane Sow, dans la page citée de l’article cité. »

Ni regrets ni excuses…

La réponse, venue d’Hachette Livre sous la plume de Sidonie Chollet, directrice d’Hachette Tourisme, ne s’embarrasse guère de sentiments : « L’équipe Routard a pris note de vos observations, et comme il vous a été déjà indiqué, il ne sera pas fait référence à monsieur Ousmane Sow au sein de la prochaine édition du Guide du Routard Sénégal. Nous vous souhaitons bonne réception de la présente et restons à votre disposition pour tous renseignements complémentaires que vous pourriez souhaiter. » Sans juger du fait qu’il serait bien dommage, pour un guide comme le Routard, de ne pas citer la maison Ousmane Sow dans ses prochaines éditions, il manque sans doute à ce courrier du 5 juillet l’essentiel : quelques mots d’excuses !

Face à ce manque de savoir-vivre, et sans vouloir se lancer dans une procédure judiciaire, David et Marina Sow ont décidé de faire connaître leur point de vue via les réseaux sociaux. Leur pétition en ligne, « Le Routard : Stop à la désinformation, à l’amateurisme et à la diffamation » avait, dans l’après-midi du 10 août, recueilli plus de 320 signatures et entend faire « respecter la dignité du peuple sénégalais, en respectant ses symboles culturels ».

Contacté par téléphone, le directeur du guide du Routard, Philippe Gloaguen, soutient avoir fait des excuses par courrier auprès des héritiers, courriers qui ne seraient jamais arrivés au Sénégal*. « Je m’associe à la direction de Hachette pour m’excuser. Ousmane Sow fait partie des dix personnalités exceptionnelles du Sénégal que nous avons sélectionnées dans le guide. Nous avons une admiration sans borne pour lui, vous pensez bien qu’on le respecte ! En pensant qu’il était un peu à l’origine du projet, nous avons fait une erreur, qui sera corrigée dans la prochaine édition du Guide, à paraître bientôt. » Quant à ceux qui voudraient voir la maquette du monument auquel pensait le sculpteur et qui aurait eu pour titre L’homme libre, elle est exposée au sein de la Maison Ousmane Sow, avec nombre de ses œuvres.

(*) Cet article, initialement publié le 10 août 2022, a été réactualisé ce 11 août avec la réponse de Philippe Gloaguen.

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