Quelques idées pour se lancer dans l’œuvre de la grande romancière sacrée par le prix Nobel de littérature ce jeudi.
Si vous ne connaissiez pas encore Annie Ernaux, le prix Nobel de littérature qui lui a été décerné ce jeudi 6 octobre a certainement permis de remédier à ce problème. Et il vous ouvre les portes d’une magnifique découverte littéraire. Voici quelques conseils pour plonger dans l’œuvre de la première Française à recevoir la prestigieuse récompense.
La Femme gelée (1981)
La narratrice est professeure de lettres, mariée à un « cadre », mère de deux beaux enfants. Tout devrait aller pour le mieux. Pourtant, elle se sent piégée dans sa condition, dépossédée d’elle-même et de ses aspirations. Alors qu’elle voyait dans le modèle de ses parents un couple moderne, elle vit une grande désillusion avec son époux, progressiste en théorie, pas tellement dans les actes. Un roman très fort sur le délitement insidieux des idéaux d’égalité dans le couple. Ou comment le désir d’émancipation est sapé par le poids des injonctions sociales.
La Place (1984)
Le livre avec lequel Annie Ernaux a véritablement trouvé sa voix, application du principe d’« écriture plate » qu’elle a forgé, c’est-à-dire sans émotion, à l’appui d’un vocabulaire simple et de phrases dépouillées à l’extrême. Récit « né de la douleur d’avoir perdu [son] père », la romancière, qui a migré vers le monde « petit-bourgeois », y dresse le portrait de cet homme et évoque son café-épicerie d’Yvetot en Normandie, symbole d’ascension sociale pour lui mais lieu d’aliénation et d’enfermement pour elle. Quelle place eut ce père dans la famille ? Quelle place lui a-t-il laissée ? Quelle place dans la société ? « La Place » a décroché le prix Renaudot en 1984 et s’est écoulé à près d’un million d’exemplaires.
L’Événement (2000)
Quatre ans avant la légalisation de la pilule contraceptive et douze ans avant la loi Veil, ce récit autobiographique décrit le terrible avortement clandestin d’une jeune femme de 23 ans. « Comme d’habitude, il était impossible de déterminer si l’avortement était interdit parce que c’était mal, ou si c’était mal parce que c’était interdit », note l’écrivaine. Le livre a été adapté au cinéma par Audrey Diwan en 2021 et a été récompensé par un Lion d’or à la Mostra de Venise. Il a également pris une nouvelle résonance après la décision de la Cour suprême des Etats-Unis de révoquer l’arrêt Roe vs Wade qui garantissaient le droit aux femmes américaines d’avorter.
Les Années (2008)
« Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais » : c’est sur ces mots que s’achève « les Années », l’un des projets les plus ambitieux d’Annie Ernaux. Elle y tresse sa propre mémoire, descriptions de photos prises entre 1941 et 2006, à celle de l’histoire commune française. Un ouvrage à la fois personnel et universel qui lui a valu entre autres récompenses le prix Marguerite-Duras et le prix Strega européen, mais aussi une reconnaissance internationale et une kyrielle d’adeptes et de disciples littéraires. Elle a été qualifiée de « première autobiographie collective », tandis que le poète allemand Durs Grünbein l’a saluée comme une « épopée sociologique » révolutionnaire du monde occidental contemporain.
Mémoire de fille (2016)
C’est en devenant animatrice dans une colonie de vacances en 1958 qu’Annie Ernaux, qui va fêter ses 18 ans, se retrouve pour la première fois débarrassée de l’emprise de ses parents ou de son école de bonnes sœurs. La découverte de la vie en communauté avec des gens de son âge va bouleverser son monde. Ernaux décrit la perte de sa virginité, avec un garçon, qui, lorsqu’elle lui crie qu’elle a mal, lui assène : « J’aimerais mieux que tu jouisses plutôt que tu gueules ! ». De son écriture sobre mais acérée, elle interroge une nouvelle fois ses thèmes de prédilection : l’identité, la sexualité, la société française des années 1960, la mémoire, mais aussi l’écriture.