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Le drame que vient de vivre cette semaine le peuple tchadien est de ces moments de grande tristesse pour toute l’Afrique. Car, le spectacle offert le 20 octobre 2022 par le Tchad n’est pas de ceux qui remplissent les Africains de fierté. Et ce n’est nullement une affaire de passeport…
Une cinquantaine de personnes ont été tuées, jeudi 20 octobre, dans la répression d’une manifestation de protestation contre la prolongation de la durée de la transition, au Tchad. Le Premier ministre a dénoncé une insurrection et annoncé la suspension de partis politiques et de mouvements citoyens, promettant de vigoureuses poursuites judiciaires à quelques leaders. Dans un pays aussi fragile, que peut présager une si fulgurante dégradation ?
Cela n’augure rien de très rassurant, hélas ! Avec le père, Idriss Deby Itno, les Tchadiens pensaient avoir bu le calice jusqu’à la lie tant il était capable de fermeté, sinon de brutalité contre tous ceux qui défiaient son pouvoir. Ce peuple doit à présent réaliser que le cauchemar continue.
Un tel bilan de morts et de blessés en une seule journée est une bien glaçante prouesse, d’autant plus inquiétante que le Premier ministre n’y a vu qu’une insurrection. Lui qui était, naguère, à la place des opposants qu’il menace aujourd’hui des pires représailles, sous prétexte qu’ils ont appelé à manifester contre ce qui leur paraît injuste.
Quelle crédibilité aurait donc une justice qui sévirait contre ceux qui s’opposent à la prolongation d’une transition manifestement viciée, mais ferait silence sur l’autorité qui a ordonné à des soldats d’ouvrir le feu sur leurs concitoyens ? Car, comme l’a souligné, au micro de RFI, un prêtre de la Commission Justice et Paix du clergé tchadien, on ne peut tirer à balles réelles que si l’on en a reçu l’ordre.
Un porte-parole du Mouvement patriotique du salut (MPS), au pouvoir, a cependant expliqué qu’une quinzaine de membres des forces de sécurité ont aussi été tuées, et leurs véhicules caillassés.
Voilà qui en dit long sur la logique de certains membres de ce pouvoir. Quinze soldats tués justifierait-il donc que l’on tue trente-cinq manifestants ? Et ce bilan est très provisoire. Dans ce Tchad où l’on cherche désespérément à déceler qui a une réelle légitimité pour conduire la nation, le même porte-parole décrète que tel leader de l’opposition ne représente pas le peuple tchadien qui, dit-il, n’aime pas la violence.
Comme il a raison ! Ce peuple n’aime pas la violence. Mais il est habitué à subir la violence de ceux qui sont censés le protéger. Hélas, les certitudes dans ce camp sont telles qu’il ne leur vient même pas à l’esprit qu’après plus de trente ans passés à subir la violence de « leur » pouvoir, une partie de la population, excédée, peut ne pas vouloir repartir pour un nouveau bail avec le fils du maréchal, sans une clarification sincère et équilibrée du jeu politique.
N’est-ce pas déjà une avancée que cette répression ait été condamnée par plusieurs États et organisations internationales ?
Comme l’a souligné vendredi sur cette antenne, le chercheur Roland Marchal, cette affaire ne relève plus de la politique intérieure d’un État normal. Tous ceux qui ont, de fait, conféré à ce pouvoir un semblant de légitimité, en pariant sur la bonne foi et la sincérité du fils pour changer de méthode, sont piégés. Ils doivent, à présent, déterminer clairement s’il est prudent et juste, de leur part, de laisser le peuple tchadien en tête-à-tête avec un pouvoir capable d’une telle violence contre des civils. Avec le discours que l’on entend dans le camp aux affaires à Ndjamena, il convient de ne pas minimiser le risque que, demain, l’on apprenne la disparition de certains leaders. Qui a oublié l’universitaire Ibni Oumar Mahamat Saleh ?
Les subterfuges pour fausser par le nombre le jeu du dialogue indiquent qu’il est illusoire d’espérer bâtir dans ce pays une réconciliation nationale sincère sur la ruse et le faux.