Dr Joseph Mendy, neurochirurgien, juriste et bioéthicien revient sur les obligations des patients et des soignants, les dérives pénales, les lois et règlements qui régissent l’exercice de la médecine mais aussi la gestion des cas d’urgence
Les travaux de la première Conférence africaine sur la réduction des risques en santé se poursuivent à Marrakech. Après son exposé sur le Droit de la santé et réduction du risque en santé, Dr Joseph Mendy, neurochirurgien, juriste et bioéthicien s’est entretenu avec la presse. Dans cet entretien, l’enseignant chercheur par ailleurs expert médical près des Cours et Tribunaux à Dakar est largement revenu sur les obligations des patients et des soignants, les dérives pénales, les lois et règlements qui régissent l’exercice de la médecine mais aussi la gestion des cas d’urgence.
Pouvez-vous revenir sur la problématique du droit de la santé ?
Le droit de la santé, ce sont des règles juridiques. C’est-à-dire les lois, les décrets, les arrêtés qui réglementent les activités de la santé. Et donc, l’amélioration des systèmes de santé repose en premier lieu sur la maitrise des techniques médicales, le financement médical mais également sur la maitrise des lois et règlements qui réglementent l’exercice de la médecine et le fonctionnement des structures, la formation des professionnels que ce soit les médecins, les pharmaciens ou les paramédicaux. Donc, c’est extrêmement important que tous les acteurs de la santé que ce soit les professionnels de la santé ou certaines professions connexes qui interviennent de façon ponctuelle ou permanente au niveau de la santé. Je peux prendre par exemple des économistes instruits de la responsabilité pour construire des règles pour pouvoir conduire à bien leurs missions. Au cas contraire, ce sera des manquements qui peuvent prendre l’allure des fautes que ce soient les fautes civiles comme les fautes pénales qui engagent la responsabilité des acteurs et ça peut amener à nuire aux acteurs de la santé alors que le but premier de tout acteur de la santé, c’est la réduction de la souffrance. C’est-à-dire le combat contre la maladie.
Quel est l’apport du droit de la santé dans la réduction des risques sanitaires ?
L’apport est extrêmement important. Parce que pour réduire un risque, il faut d’abord savoir à quoi renvoie le risque et qu’est-ce qui nous est autorisé à faire ? Qu’est-ce qui ne nous est pas autorisé à faire ? Rien qu’en étant en possession de ces connaissances permet d’éviter le risque au patient. Et donc, la réduction des risques, il faut maitriser les techniques médicales mais il faut aussi savoir les droits et obligations des patients et des professionnels. Parce que le risque ne concerne pas que le malade, il concerne également les internats au niveau de la santé notamment les infections nosocomiales, la contamination du personnel médical par le Sida par exemple. Ce sont des risques auxquels les personnels sont exposés. Donc, quand on veut combattre les risques, il faudrait que les différents acteurs, comme je l’ai dit à la conférence, soient instruits de l’administration de la santé, de la formation jusqu’aux obligations de soins. Qui doit prendre les soins ? Qui doit prendre tel ou tel soin ? Que dit la loi par rapport aux fonctionnements des services de santé ? On a entendu tout à l’heure l’ex-ministre de la Turquie qui disait que dans son pays, on prenait les malades en otage. Ça par exemple, c’est une dérive pénale. La dérive pénale, c’est la séquestration. Le médecin ou bien le gestionnaire d’une clinique ou d’un service de santé ne peut pas et ne doit pas garder le patient à l’hôpital contre son gré dès l’instant que le médecin a décidé que le patient doit être sorti, qu’il n’a plus besoin d’être à l’hôpital. Maintenant, le patient doit savoir que s’il va dans un hôpital, dans une clinique, il va falloir payer. En revanche, même s’il ne paie pas, le professionnel ou le propriétaire de la clinique ne peut pas le garder à l’hôpital sous prétexte qu’il n’a pas payé. Ça devient de la séquestration. Il va donc falloir saisir d’autres structures de recouvrement. C’est pourquoi, dans les structures de santé, il y a toujours un service de recouvrement pour aller chercher les factures qui n’ont pas été payés.
Quel est l’état du droit de la santé dans l’enseignement dans les universités au Sénégal ?
Je dois dire qu’il n’y a pas réellement l’enseignement proprement dit du droit de la santé. En revanche, il y a certains chapitres qui sont enseignés notamment au niveau de la médecine légale. La médecine légale, son but, c’est d’apporter l’éclairage au juge ou à l’administration pour qu’il puisse prendre les décisions pour trancher les litiges ou les cas de problématiques au niveau de la santé. Et dans cet enseignement, on enseigne une partie du droit de la santé. On nous parlera de certificat médical, de diagnostic de la mort mais le droit de la santé dépasse largement ce contexte-là et c’est pourquoi on m’a sollicité pour parler du droit de la santé dans cette conférence internationale.
Que dit la loi lorsqu’un médecin refuse d’examiner un patient tant qu’il n’a pas passé à la caisse avec tous les risques que cela comporte ?
Justement, vous avez évoqué une problématique du droit de la santé. Vous allez à l’hôpital. Quels sont vos droits à l’hôpital ? Quelles sont vos obligations ? L’hôpital a une organisation administrative qui est basée sur un financement qui vous dit voilà comment ça marche dans l’hôpital. Donc, quand vous allez à l’hôpital en tant que patient, vous ne pouvez pas imposer vos lois. Il faut que vous suiviez l’obligation administrative de l’hôpital. La deuxième question qui est fondamentale, c’est celle de la prise en charge sanitaire. Si vous êtes arrivé à l’hôpital, il y a deux cas. Si vous y êtes arrivés en état d’urgence, effectivement on ne peut pas vous exiger une quelconque participation ou bien de vous demander une formalité avant de vous prendre en charge. Dès que vous arrivez, le médecin urgentiste, son obligation contractuelle, c’est de mettre à votre disposition tous les moyens de diagnostic et de traitement dont il a besoin sans pour autant qu’il vous dise de passer à la caisse ou de remplir tel ou tel papier. Peut-être qu’il va vous demander votre nom pour vous identifier. Mais il ne peut pas vous retarder pour vous dire d’aller payer quoi que ce soit. Maintenant, à la fin de la procédure d’urgence, le patient viendra maintenant pour remplir son obligation de payer les soins. Le deuxième volet, si vous arrivé à l’hôpital et que vous n’êtes pas en état d’urgence, vous devez entrer dans l’organisation administrative de l’hôpital. C’est-à-dire quelles sont les procédures de prise en charge du patient qui ont été édictées par le ministère de la Santé et de l’hôpital. Si on vous dit que pour voir le médecin, vous devez d’abord passer par la caisse, vous le faites. Si vous ne le faites pas, alors que vous n’êtes pas en état d’urgence, l’hôpital se réserve le droit de ne pas vous traiter mais quand il s’agit des urgences, on ne peut pas attendre quoi que ce soit. Seulement, il faut le dire, l’urgence, c’est vrai que c’est le patient qui a mal mais avoir mal ne signifie pas que vous êtes en état d’urgence. C’est le médecin qui le détermine. L’obligation du médecin, c’est de soulager le patient parce que vous ne pouvez pas aller dans un hôpital, avoir mal et rester deux ou trois heures de temps sans que le médecin ne puisse vous soulager. C’aurait été en France en vertu de la loi du 4 mars 2002 relative à l’amélioration de la relation médecin-malade, le droit de ne pas souffrir, c’est un droit effectif et que le patient peut porter plainte contre le médecin du fait qu’il soit rendu chez le médecin pendant deux ou trois heures sans qu’il ne puisse le soulager.
Qu’en est-il des cas d’urgence qui sont renvoyés pour manque de place ?
Je ne suis pas en train de dire que tout est rose, que les médecins reçoivent les urgences et qu’au Sénégal, les médecins ont la culture du droit de la santé. Moi-même étant médecin, je suis confronté à ces problèmes. Des collègues peut-être qu’ils le faisaient délibérément ou bien qu’ils n’étaient pas animés de bonne foi, renvoient des cas d’urgence. C’est des cas qui existent. Ça revient à ce que je suis en train de faire aujourd’hui parce qu’un médecin ne sait pas qu’il peut aller en prison à cause de ça parce que s’il le savait, il n’aurait pas réagi comme ça. Le fait de refuser un malade en cas, pour moi, c’est ce que vous n’êtes pas vraiment instruits de vos obligations et qu’à partir de ce cas-là, vous pouvez nuire à votre carrière définitive mais ils le font. Peut-être aussi ils le savent.
Est-ce que ce n’est pas une chaine de défaillance qui aboutit à des cas de morts?
C’est ça le droit de la santé parce que l’obligation du personnel soignant, c’est l’obligation des moyens. Ce n’est pas l’obligation de résultat. En médecine, on vous dit vous devez mettre les moyens. On n’a pas l’obligation de guérir mais nous avons l’obligation de soigner qui consiste à mettre à disposition des malades tous ceux dont on dispose en matière de techniques médicales. Une fois que nous l’avons fait, on a rempli notre obligation parce que si on nous obligeait le résultat, nous tous, nous serions en prison. Maintenant, cette obligation requiert les moyens de diagnostic et de prise en charge et les moyens des structures d’hospitalisation. Nous qui sommes dans ce domaine, on sensibilise tout le monde, les pouvoirs publics comme les praticiens parce que si dans un hôpital universitaire, on vous dit que le scanner est en panne ou bien il y a que cinq ou six lits au service d’urgence qui sont occupés le week-end, le médecin ne peut pas vous recevoir. Ce n’est pas une faute. C’est un défaut de moyen et c’est l’Etat qui en est responsable parce qu’il n’a pas pu mettre en place les structures suffisantes pour accueillir les citoyens et dans certaines circonstances, on peut ester l’Etat en justice, pour fonctionnement défectueux du service public. Il va payer les dommages et intérêts mais le juge sénégalais n’a pas un pouvoir coercitif par rapport à l’Etat.
Est-ce qu’au Sénégal, les médecins ont la culture du droit de la santé ?
Ils ne l’ont pas. Même les notions qu’ils apprennent en médecine légale, ils oublient à la sortie de la faculté. Quand j’étais vice-président de l’Ordre des médecins du Sénégal, j’ai mis un système pour inciter les médecins mais ils ne venaient même pas s’inscrire à l’Ordre alors qu’en médecine légale, on leur dit pour exercer la médecine, il faut avoir le diplôme d’Etat, être sénégalais et s’inscrire à l’Ordre. Quand ils sortent, ils ne s’inscrivent pas et dès qu’ils ne s’inscrivent pas, ils sont en état d’illégalité dans l’exercice de la médecine.
Recueillis par Mariame DJIGO
(ENVOYEE SPECIALE A MARRAKECH)