Ces bons chiens et ces ânes dodus… – Par Madiambal Diagne

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Dans le jargon journalistique, une expression est employée avec une connotation plus ou moins péjorative pour qualifier la rubrique d’un journal qui traite de sujets sans rapport les uns avec les autres. C’est la rubrique «des chiens écrasés». Il y figure des articles divers que l’on ne peut pas rattacher à une actualité ou à un thème du journal et qui n’ont pas, non plus, de lien entre eux. L’expression est galvaudée dans les rédactions pour que tout sujet quelconque, sans importance, qui peut-être même ne devrait pas mériter d’être publié, soit qualifié de «chien écrasé». C’est dire que c’est un camouflet pour un reporter de se faire remarquer que l’article proposé est un chien écrasé. Dans l’édition du journal Le Quotidien du jeudi 19 mai 2016, une histoire de «chiens» a particulièrement retenu mon attention.

Madiambal DIAGNE s'exprime sur le jargon journalistique
Madiambal DIAGNE © Malick MBOW

C’est l’article d’ouverture de la page «Economie» titré «L’Azerbaïdjan offre deux chiens renifleurs au Sénégal» ; avec en prime une grande photo de Pape Ousmane Guèye, directeur général des Douanes sénégalaises. J’avoue que sur le coup, je pensais à un trait d’humour du journaliste, mais à la lecture de l’article, je n’ai pu m’empêcher de m’étonner qu’un tel papier pût avoir autant de perspective dans un journal qui se voudrait «sérieux». Ma surprise sera encore plus grande quand je découvre que la quasi-totalité des médias avait relayé l’information. En effet, les médias se sont sans doute sentis obligés de relayer une information aussi ridicule, parce qu’ils ont été invités à couvrir la cérémonie protocolaire de la rencontre du patron des Douanes sénégalaises avec son homologue azéri. Ces mêmes médias se sentiront aussi obligés de suivre cette information et de relater, dans quelques mois, que des douaniers, «élèves maîtres chiens», auront été envoyés à Bakou pour suivre une formation de dressage des deux chiens et qu’à l’issue de leur formation, ils seront rentrés auréolés de succès et que les deux chiens seront accueillis en grande pompe à l’aéroport et qu’une cérémonie de baptême sera organisée pour leur donner des noms azéris ou occidentaux. Les chiens seront-ils dressés pour obéir à des ordres en langue azéri, en français, en wolof, sérère ou poular ? Qui connaît d’ailleurs un chien baptisé par son maître d’un nom sénégalais ? Il suffit, pour s’en convaincre, de faire un sondage autour de soi pour recueillir des suggestions de noms de baptême de chien. Les chiens dans nos foyers s’appellent toujours Rex, Alex, Médor, Barbie, Wizy, Alfred, Baltazar, Bob, Bobby, Max, Léo, Zoé, Tom, Matt, Linette, Papillon et tutti quanti. C’est peut-être pour faire tendance ? Peut-être pas, car je me rappelle qu’un de mes amis d’enfance, qui n’avait pourtant pas la chance d’aller à l’école française encore moins avoir été dans une ville moderne, avait un chien berger qu’il se plaisait à appeler «Médor». Je serais vraiment curieux de savoir ce qui avait bien pu inspirer ce broussard pour donner un tel nom à son chien.
Pour en revenir à notre histoire de «chiens douaniers renifleurs de drogue», on ne peut manquer de s’émouvoir que de grands responsables de l’Etat se prêtent à un pareil ridicule de recevoir aussi pompeusement un don fait de deux chiens renifleurs. Combien de têtes de chiens de ce type sont en service dans la police et la gendarmerie du Sénégal ? Avec les frais de voyage et les frais de mission en Azerbaïdjan de deux élèves maîtres chiens, on devrait pouvoir acheter une dizaine de chiens renifleurs. Allez-vous renseigner sur les prix de chiens renifleurs !
Ces chiens douaniers pourraient cependant se révéler hautement utiles, s’ils sont dressés à renifler les conteneurs d’huile de palme qui débarquent au port de Dakar. Cette denrée se révèle être un des talons d’Achille des Douanes sénégalaises. Certains opérateurs, bien connus, arrivent à la faire entrer presque gratuitement au Sénégal ou font des déclarations de réexportation fictive et le phénomène a fini par mettre à genou les entreprises qui opèrent dans le secteur des industries oléagineuses. Cette pratique a même provoqué une guerre qui perdure entre les douaniers des Môles 2 et 8 du port de Dakar. Aucune autorité ne s’autorise à juguler ce fléau. Sans doute que les subsides tirés de cette fraude sont perdus par le trésor public, mais peut-être pas par tout le monde.
Il reste que le plus désolant est que ce n’est pas une première que des cérémonies de réception de dons ridicules soient médiatisées et présidées par de grandes autorités publiques. Qui ne se souvient pas de la cérémonie tenue à Tambacounda et qui avait mobilisé de nombreux ministres et directeurs d’organismes publics à l’occasion de la remise d’une ambulance à la ville par la Fondation Sonatel ? Les frais de déplacement jusqu’à Tambacounda de ce beau monde et les coûts liés au folklore attaché à la cérémonie devraient dépasser largement le prix de l’ambulance. Qui n’a pas vu défiler sur les écrans de télévision une réclame publicitaire dont le film est extrait d’une cérémonie de remise d’un don de deux camionnettes à l’Armée sénégalaise par un homme d’affaires ? Les autorités militaires avaient accepté volontiers un don qui dénoterait du sens civique de la personne qui chercherait ainsi à soutenir les efforts d’équipement de nos vaillants soldats, mais force est de dire que c’est bien mal à propos que cela ait servi de support pour la publicité de la société du «mécène». On avait vu faire pareil avec le don d’une ambulance de seconde main à la Commune de Mbour par un autre homme d’affaires.
Pour avoir de bons chiens renifleurs, est-il besoin d‘aller jusqu’à Bakou ? Les autorités publiques peuvent parfois être bizarres. Pour repeupler son cheptel d’ânes ou on ne sait aussi pour quelles autres raisons, l’Azerbaïdjan avait, en 2009, importé d’Allemagne un troupeau d’ânes à raison de 12 mille euros la tête. Cette opération avait provoqué un tollé et deux hommes, Emin Milli et Adnan Hajizade, avaient tourné l’achat en dérision et avaient conçu une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux. La vidéo montrait une fausse conférence de presse, dont l’invité d’honneur était un âne. Cette mise en scène était en fait un moyen de protester contre une réforme remettant en cause le statut des Ong, et aussi contre cette dépense incroyable du gouvernement. Les deux impertinents avaient été condamnés à des peines d’emprisonnement de plus de deux ans.
Cette histoire d’ânes peut trouver sa «saveur» dans le contexte sénégalais où une affaire de boucherie clandestine de viande d’ânes défraie la chronique. Une affaire pareille n’est assurément pas nouvelle au Sénégal. Combien de fois les médias ont révélé de telles pratiques de boucherie clandestine de viande d’ânes, de chiens ou encore ? Jamais des mesures hardies ne sont prises pour s’assurer de mesures de sécurisation de nos produits alimentaires. Il n’y a pas encore longtemps, au quartier de Pikine Guinaw Rails, un vendeur de «forokh thaiya» avait été arrêté avec des bols de chair d’une dame qu’il avait tuée et découpée. Dire que cette viande humaine aurait pu finir dans des assiettes de consommateurs ! Qui peut garantir la traçabilité des viandes servies dans les gargotes, les étals de restauration de rue et autres «Fast food» et même dans les assiettes des étudiants de restaurants universitaires ?
Au-delà de la traçabilité des viandes, le manque d’hygiène saute aux yeux dans nos boulangeries, dans nos restaurants et autres gargotes. Ce pays n’a plus trouvé nécessaire de se doter d’un Service national d’hygiène outillé pour contrôler nos conditions de vie et surtout la qualité des denrées et autres. Des cartons de cuisses de poulet sont de temps en temps saisis, des chargements de riz avarié sont de temps en temps saisis, de la viande de buffle à la provenance douteuse et qui n’a même pas été conservée selon une chaîne de froid quelconque est vendue aux marchés et étalée à tous vents. Les gens peuvent manger de la viande d’âne ou de chien selon leur volonté, mais que ce soit en connaissance de cause. D’ailleurs, la viande de chien pourrait être recommandée au personnel politique pour inculquer à nombre d’entre eux des principes de fidélité et de reconnaissance. Que personne ne suive mon regard !

Source : Leral

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