Le « Black Power » de Kehinde Wiley, star américaine de la peinture
En 2018, son portrait de Barack Obama faisait de lui une star de l’art contemporain: loin « des hypocrisies de l’Amérique », Kehinde Wiley poursuit son exploration de la représentation des Noirs dans l’art, à travers des portraits de chefs d’Etat africains.
Le président ivoirien Alassane Ouattara (81 ans), débout, épée à la main, regardant fièrement le spectateur; Paul Kagame (65 ans), son homologue rwandais — au pouvoir depuis 1994– également debout, dans son bureau; Denis Sassou-Nguesso (79 ans) — qui cumule presque 40 ans à la tête de la République populaire du Congo — bras croisés dans un décor fleuri, faisant écho aux pagnes africains…
Le tableau « Portrait du Denis Sassou Nguesso, président de la République du Congo » de l’artiste américain Kehinde Wiley, exposé au Musée du Quai Branly, le 25 septembre 2023 à Paris
Ces peintures monumentales et vitaminées font partie de la dizaine de toiles exposées au Quai Branly (jusqu’au 14 janvier 2024), dans une exposition imaginée en collaboration avec la Galerie Templon à Paris.
Le point de départ ? Le portrait de l’ex-président américain Barack Obama, qui fut une commande officielle, réalisé par l’artiste afro-américain de 46 ans.
« Avant même de faire son portrait, en le voyant se présenter, je me suis dit: +C’est impossible qu’il devienne président à cause de sa couleur de peau+ … J’ai eu tort (rires) « , dit-il, dans un entretien à l’AFP.
Président(s) et anonymes –
« Ca m’a mené à une question: où sont les présidents noirs ? De fil en aiguille, j’ai commencé à regarder du côté de l’Afrique », poursuit celui qui partage son temps entre New York et l’Afrique de l’Ouest.
Né en 1977 à Los Angeles (Californie), il est le fils d’une Afro-Américaine et d’un Nigérian, qu’il n’a quasiment pas connu. S’il rêve de faire de la peinture — et d’être portraitiste — , il commence des études d’art tout en suivant, en parallèle… des cours de cuisine.
« Je n’étais pas sûr de pouvoir faire une carrière d’artiste. Il y avait quelque chose de l’ordre de la chimère », se remémore-t-il, disant « avoir consacré toute (s)a vie à ce rêve ».
Pendant ses études au San Francisco Art Institute puis à l’université de Yale, Kehinde Wiley se rend compte d’une chose: la représentation des Noirs dans l’art les cantonne aux fonctions d’esclaves ou de servants.
Lui préfère peindre des hommes noirs en situation de pouvoir, en s’inspirant de tableaux représentant des rois, empereurs et hommes politiques.
Son style est grandiloquent, parfois à la lisière du kitsch, presque photographique dans le détail et l’intensité.
C’est son portrait du 44e président américain qui lui apporte la notoriété, même si son œuvre est parsemée d’anonymes afro-américains, qu’il peint de manière quasi-géante.
– « Authenticité »
Pendant longtemps, le continent africain reste une idée lointaine chez lui. Une idée, devenue, il y a quelques années, un vaste territoire qu’il habite une partie de l’année.
« J’aime aller au Sénégal et au Nigeria pour m’éloigner des hypocrisies de l’Amérique et pour échapper à l’obsession de la couleur de la peau », tance-t-il, affirmant qu' »il y a encore beaucoup de travail à faire pour la justice sociale et raciale » dans son pays.
En Afrique, « chaque pays a ses propres défis même si je pense qu’il y a aussi de grandes opportunités et tant de talents », assure-t-il.
Son projet sur les chefs d’Etat africains ne représente pas une rupture avec son travail, mais la prolongation de celui-ci: « Certains se diront : +Tiens, Kehinde Wiley peint des dictateurs+… ».
Et d’expliquer avoir voulu « entamer une conversation avec ces dirigeants », qu’il a démarchés et rencontrés. Pas des tableaux officiels, il s’agit « d’une performance artistique bizarre », revendique-t-il.
Performance qui explore la mise en scène du pouvoir rarement montrée dans la peinture occidentale. Convaincra-t-il ? « Le public réagit toujours à l’authenticité. Quand quelque chose est vrai et profond, on ne peut s’y détourner. On verra ».