Quartier fondé vers 1056 par des Maures venus de la Mauritanie, il a aussi accueilli le passage d’éminents guides religieux comme Serigne Touba, El Hadji Malick ou encore Cheikhna Cheikh Saad Bouh
Connu et reconnu pour ses activités de pêche, Guet Ndar a aussi une histoire. Quartier fondé vers 1056 par des Maures venus de la Mauritanie, il a aussi accueilli le passage d’éminents guides religieux comme Serigne Touba, El Hadji Malick ou encore Cheikhna Cheikh Saad Bouh. Au plan politique, Guet Ndar, une des plus fortes concentrations humaines au monde, revendique dans ses rangs Lamine Guèye, ancien président de l’Assemblée nationale du Sénégal.
Guet Ndar a tout d’un chaos social. Bande de terre coincée entre le Fleuve Sénégal et l’océan Atlantique, ce célèbre quartier de la ville de Saint-Louis croule sous les rayons solaires secs et bouillants qui étouffent ses milliers d’habitants obligés de fuir la forte densité dans les maisons pour se donner de l’air auprès de la brise marine ou fluviale. Sur les bords du fleuve, Guet-Ndar offre des dizaines de cargos rouillés, drossés sur le sable, leurs mâts noirs tendus vers le ciel. Il y a l’insalubrité des lieux, ces multiples filets de pêche accrochés sous les tentes artisanales, ce sol vermoulu… Guet Ndar ressemble à un cimetière de pirogues avec une litanie d’épaves piégées par les fonds marins. Il s’agit d’une succession d’habitations bigarrées où vivent plusieurs générations. L’ensemble urbain, assez anarchique, est composé d’un nombre incalculable de baraques et de petites maisons.
Bombe démographique
Dans les étroites concessions, pères et fils, tantes et oncles, petits-fils et gendres se partagent de petits espaces, mangent ensemble et palabrent autour du thé. « Nous étions 35 000 habitants lors du dernier recensement, mais le nombre a largement évolué en hausse », précise Makhou Sène, Délégué du quartier de Guet Ndar. Autour d’un exercice de damier, ses amis et lui se donnent rendez-vous tous les jours à la place publique de « Dakk» qui jouxte le fleuve pour passer du temps et discuter de sujets d’actualité. Ce type de coin longe le littoral du côté du fleuve comme de la mer. Aujourd’hui, les habitants de Guet Ndar regardent l’océan avec angoisse. Ce grand bleu qui a nourri tant de générations est en train de lâcher de longues rafales sur les maisons à défaut de ne plus leur offrir le tant aimé poisson. « On a toujours voulu vivre en communauté. Nous sommes très solidaires. C’est pourquoi, nous vivons en communauté », vante Daouda Fall, coordonnateur du Conseil de la pêche artisanale à Saint-Louis.
Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les origines de Guet Ndar composé de 3 sous quartiers à savoir Lodo Guet Ndar, Dakk et Pondo xolé « Guet Ndar renferme la culture de Ndar. C’est un quartier d’histoires dont les premières populations ont marché jusqu’à Guet Ndar pour s’y installer. Cela fait longtemps. Guet Ndar vient d’une localité dénommée « Adj » qui ne fait pas partie du Sénégal. C’est en Mauritanie. Après, ils sont venus à Hassan qui est à 85 Km de Saint-Louis. Ces terroirs que je viens de citer sont de la Mauritanie », retrace le Délégué de quartier. D’après lui, ces nomades avaient, dans leur organisation, une architecture coutumière. On peut en citer le « Jawdin », chef de la communauté, équivalent du « Jaraaf » chez les Lébous et « Alkhati » déformé dans le temps par la dénomination « Alcati » (policier). « Les Sène étaient ‘’Jawdin’’ et les Gaye se retrouvaient ‘’Alcati’’. Lamine Guèye fait partie de la descendance de la famille Gaye. On peut nommer aussi Moustapha Malick Gaye dont le nouveau porte le nom et qui a été maire de Saint-Louis de 1928 à 1935. Nous avons eu très tôt des cadres », relève Makhou Sène.
Passage privilégié des guides religieux
Mais d’où vient Guet Ndar ? « Nos parents avaient des troupeaux dans les maisons. Raison pour laquelle on disait « Guet yi ci Ndar », c’est-à-dire les troupeaux à Ndar. C’est pourquoi on parle de Guet Ndar », précise M. Sène. Le Délégué de quartier rappelle qu’un historien soudanais du nom d’Al Bacry aurait dit qu’en Afrique de l’Ouest, la première mosquée a été construite en 1056 à Guet Ndar par les Maures du Maurabitoune. « Quand les Maures propageaient l’islam en Andalousie, ils étaient accompagnés de ressortissants de Guet Ndar. Lorsque la mosquée a été érigée, on l’appelait Darou Salam. Mais les Maures disaient ‘‘Ad Dar’’. La déformation par les Wolofs a produit le nom Ndar », souligne-t-il. Au plan religieux, d’éminentes personnalités ont posé leur pied à Guet Ndar. On peut en citer Serigne Touba, El Hadji Malick Sy, Cheikh Ibrahima Fall ou encore Cheikh Saad Bouh. « Cheikh Ahmadou Bamba venait rendre visite à un des nôtres en l’occurrence Cheikh Malani Moussa Ka, Ass Camara et d’autres hommes de Dieu. Seydi El Hadji Malick est venu chez Mame Awa Sène pour demander à Guet-Ndar d’aller se faire vacciner contre la peste alors que les colons se heurtaient au refus des populations. Seydi El Hadji Malick s’est fait vacciner à Guet Ndar », dira-t-il.
De plus, Cheikhna Cheikh Saad Bouh a visité Guet Ndar en 1872. « C’est 30 ans après que le Sénégal l’a connu et en 1903, il est venu dans le pays. Guet Ndar est une terre de prière et de culture », soutient Makhou Sène. Il mentionne que Cheikh Ibrahima Fall a passé une bonne partie de son temps à Guet Ndar quand Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké a été déporté au Gabon.
Les menaces contre Majmoud Diop
L’histoire de la communauté guet-ndarienne peut aussi être appréhendée en rapport avec son environnement. Guet Ndar a construit une société locale qui intime respect et considération. La mer a forgé le caractère trempé qu’on lui reconnaît. Et les colons n’ont pas manqué de se tourner vers ce peuple lors de la Première Guerre mondiale. « Lamine Guèye est venu ici et a présenté Senghor aux populations de Guet Ndar. Il a dit que c’est un homme en qui il avait confiance. Un de nos grands-pères qui s’appelle Iba avait prédit que Senghor serait un jour président de la République », narre le Délégué de quartier.
Il raconte une anecdote : « En 1968, lorsque Majmoud Diop a brûlé tous les bureaux de vote de Saint-Louis, les populations se sont opposées à sa venue à Guet Ndar. On avait menacé de le tuer s’il entrait ici pour faire ces choses-là. Guet Ndar est un peuple digne et solidaire. Nous n’avons jamais eu d’accrochages avec les colons ».
Patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco, le « Ceebu jën » riz au poisson est aussi une des fiertés de Guet Ndar. « Le Ceebu jën, plat traditionnel du Sénégal, a été inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco. « Le patrimoine immatériel, le Ceebu jën, a été préparé la première fois à Guet Ndar. Lorsque les Sénégalais ont connu le riz, nos femmes ne pouvaient pas le préparer avec le poisson. Des générations et des générations se sont essayées jusqu’à l’arrivée de Penda Mbaye en 1905. Elle n’était pas la seule à bien préparer du ‘’Ceebu jën’’ mais elle était la plus célèbre. Aujourd’hui, quand on a un évènement, on recommande de cuisiner le ‘’Ceebu jën’’ Penda Mbaye. Grâce à Dieu, les enfants de Guet Ndar maitrisent le Coran et savent préparer le ‘’Ceebu jën’’. C’est notre signature », souligne fier Makhou Sène.