L’AFRIQUE ET LES ÉCRIVAINS OUBLIÉS DU NOBEL DE LITTÉRATURE

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Portrait de Wole Soyinka © Malick MBOW

Le continent reste largement sous-représentée parmi les lauréats de ce prix, tandis que l’Europe et l’Amérique du Nord dominent le classement avec les trois quarts des auteurs récompensés

Dianke Wally de SenePlus  |   Publication 08/10/2023

 

Le prix Nobel de littérature est l’une des récompenses les plus prestigieuses du monde littéraire. Depuis sa création en 1901, il a honoré de nombreux écrivains talentueux du monde entier. Cependant, un constat amer persiste : l’Afrique reste largement sous-représentée parmi les lauréats de ce prix, tandis que l’Europe et l’Amérique du Nord dominent le classement avec les trois quarts des auteurs récompensés.

Sur les 118 lauréats à ce jour, seuls cinq écrivains africains ont été couronnés. Il s’agit de Wole Soyinka, Naguib Mahfouz, Nadine Gordimer, John Maxwell Coetzee et Abdulrazak Gurnah. Bien que ces écrivains aient indéniablement mérité leur récompense, il est indéniable que la production littéraire africaine dans son ensemble est largement sous-représentée.

Elara Bertho, chercheuse au CNRS et spécialiste des littératures africaines, souligne cette disparité. Elle affirme à RFI que cinq auteurs primés depuis 1901 sont très peu par rapport à la richesse et à la diversité de la production littéraire africaine. Selon elle, il existe une prétention à l’universel dans la manière dont les littératures mondiales sont considérées, mais cet universalisme est en réalité fortement eurocentré.

La question se pose alors de savoir pourquoi les écrivains africains sont souvent oubliés par le comité Nobel. Certains estiment que cela est dû à la profusion d’écrivains talentueux en Europe et en Amérique du Nord. Sami Tchak, écrivain togolais et lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire, affirme toujours dans les colonnes de RFI qu’il n’y a pas autant de Boubacar Boris Diop, Ben Okri ou Mia Couto en Afrique. Selon lui, ceux qui méritent le Nobel sont une minorité, même si la qualité de leur œuvre est indéniable. Pour lui, il y a également une longue histoire d’invisibilisation des littératures africaines.

Une autre raison de cette sous-représentation réside dans les langues utilisées par les écrivains africains. Parmi les cinq lauréats africains, quatre écrivaient en anglais et un seul en arabe littéraire. Les écrivains africains francophones, quant à eux, se sentent souvent oubliés. La France, avec 16 auteurs récompensés depuis 1901, domine largement le classement des pays primés. Les langues africaines, telles que le wolof ou le swahili, sont donc souvent négligées en faveur des langues européennes.

Ngugi wa Thiong’o, écrivain kényan souvent cité comme candidat potentiel au Nobel, est intéressant à cet égard. Depuis la publication de son livre « Pour décoloniser l’esprit » en 1986, dans lequel il prône la décolonisation linguistique, il a cessé d’écrire en anglais et se consacre exclusivement à sa langue maternelle, le kikuyu. Cette prise de position est un défi à l’eurocentrisme de la littérature et met en lumière la nécessité de reconnaître et de valoriser les langues africaines.

Bien que la traduction puisse permettre aux écrivains africains de dépasser les frontières linguistiques, elle ne suffit pas à garantir leur visibilité internationale. Sami Tchak souligne à RFI que la question du nombre de personnes lisant dans les langues africaines se pose également. Les auteurs africains ont besoin d’une validation et d’une reconnaissance locales pour briser les dominations symboliques. Cela impliquerait la mise en place de prix littéraires en Afrique et le développement de maisons d’édition puissantes sur le continent.

Actuellement, de nombreux écrivains africains se font éditer dans de grandes maisons d’édition en Europe et dépendent des prix littéraires européens pour obtenir une reconnaissance. Ce système centralisé de légitimation limite leur autonomie et leur visibilité internationale. Il est donc nécessaire derepenser les mécanismes de reconnaissance littéraire et de valorisation des écrivains africains.

Certaines initiatives ont été mises en place pour remédier à cette situation. Par exemple, le prix Caine pour la littérature africaine, créé en 2000, vise à promouvoir et à récompenser les écrivains africains émergents. Il a permis de mettre en lumière de nombreux talents et d’encourager la production littéraire africaine.

Par ailleurs, la diversification des jurys des prix littéraires internationaux pourrait contribuer à une meilleure représentation des écrivains africains. Il est important d’inclure des membres issus de différentes régions du monde et de différentes cultures afin d’éviter les biais et les préjugés culturels.

Enfin, il est essentiel de soutenir et de promouvoir les maisons d’édition africaines, qui jouent un rôle crucial dans la diffusion des œuvres littéraires africaines. Le renforcement de ces maisons d’édition permettrait aux écrivains africains d’avoir un meilleur accès au marché international du livre et de gagner en visibilité.

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