C’est sans doute le paradoxe de l’industrie de la mode qui laisse profanes et amateurs les plus songeurs.
Face à cette pluie de tendances que les designers et créateurs de mode font tomber chaque saison sur nos gardes-robes, pourquoi leur vestiaire semble quant à lui composé de pièces vestimentaires identiques et sobres ?
Les prescripteurs mode, ne devraient-il pas au contraire se faire les ambassadeurs de l’air du temps qu’ils impulsent eux-même chaque saison au lieu de se faire les chantres d’un look minimaliste ?
Si le questionnement semble a priori futile, un simple coup d’œil à la dégaine des grands noms de la mode suffit à en légitimer la pertinence.
LES DESIGNERS DE MODE SONT-ILS DES ADPETES DE L’UNIFORME ?
On pense forcément à Karl Lagerfeld dont l’allure totémique convoquait lunettes de soleil, mitaines en cuir, chemise immaculée, cravate pincée et veste cintrée. Un uniforme adopté dans les années 90, avec un clin d’oeil à Andy Warhol, qu’il n’avait toujours pas quitté lors de son décès en 2019.
Mais à y regarder de plus près, c’est finalement la grande majorité des têtes créatives de la mode qui est concernée.
Du costume noir aiguisé de Tom Ford au total look noir décontracté de Riccardo Tisci en passant par le noeud papillon coloré de feu Alber Elbaz ou l’uniforme de néo-écolier de Thom Browne, la plupart des directeurs artistiques des grandes maisons semblent porter chaque jour le même uniforme.
Je passe ma vie à réfléchir à ce que tout le monde devrait porter. Par conséquent, la dernière chose à laquelle je veux penser c’est ce que je dois enfiler le matin. – Michael Kors
Côtés créatrices, on note le même phénomène que ce soit chez Carolina Herrera qui ne jure que par ses jupes patineuses et ses amples chemises blanches, les cols roulés et Stan Smith de Phoebe Philo, les bijoux et pièces XXL de Donna Koran ou le look ultra-sage de Miuccia Prada.
Seul point commun entre tous ces parti-pris vestimentaires ? Une inclinaison presque epidermique en faveur du noir monochrome, un sens de l’accessoire qui tue et une ôde minimalisme qui nous fait, presque, oublier que tous ces looks sont parfaitement identiques. Et cela n’a rien d’une illusion.
CHEZ LES DESIGNERS DE MODE, UN LOOK SIMPLE POUR UN ESPRIT TRANQUILLE
Karl Lagerfeld avait révélé dès 2011 à The Independant qu’il possédait plus de 1000 chemises identiques.
Tommy Hilfiger expliquait plus récemment au Times avoir un dressing composé de 50 t-shirt blancs, 50 pantalons chino, 50 jeans et 25 paires de baskets blanches, le tout associé à des costumes gris et bleus et des chaussures noir ou marron. « Mon look est plutot ennuyeux ! » avait-il alors plaisanté.
Même son de cloche du coté de son acolyte Michael Kors qui donnait dans le Time la raison de son éternel look noir, mixant blazer, t-shirt et pantalon assorti.
« Je passe ma vie à réfléchir à ce que tout le monde devrait porter. Par conséquent, la dernière chose à laquelle je veux penser c’est ce que je dois enfiler le matin » avait-il confié au média, soulignant qu’avoir une tenue dans laquelle on se sent confiant et à l’aise était un véritable game changer dans ce métier.
Quant à Tom Ford, il avait confié tout simplement ne pas avoir l’énergie pour imaginer chaque jour de nouvelles tenues audacieuses. « J’ai souvent l’impression d’être habillé comme si je travaillais dans une boutique mais je n’ai pas la force de me créer un nouveau style. Et je sais que c’est ce qui me convient », avait-il observé dans le Vogue US.
Un automatisme chic et pragmatique en somme, pour éviter de transformer son look en énième charge mentale, à laquelle vient s’ajouter parfois un certain de désir de discrétion dans une industrie de la mode gangrénée par la guerre de l’attention.
« Le noir est à la fois modeste et arrogant. Le noir est paresseux et facile – mais mystérieux. Mais surtout le noir dit ceci : « Je ne te dérange pas – ne me dérange pas », philosophait Yohji Yamamoto.
Une position qui n’est pas sans rappeler celle de Martin Margiela, qui en optant pour la blouse blanche comme ultime uniforme de travail venait asseoir sa conception singulière d’un couturier anonymisé, dont la présence fantomatique se devait de s’effacer au profit d’un vêtement à l’état pur, brut et entier.
LA TENUE DU POUVOIR
Pour la journaliste britannique Jackie Mallon, ce choix de l’uniformité peut s’expliquer également par une tentative – plus ou moins réussie – d’incarner autorité et intemporalité dans une industrie de l’éphémère où seule une présence d’ordre statutaire promet une certaine forme de pérennité.
« Cela leur donne une stature digne d’un gourous lifestyle qui règnera sur leur adeptes de manière complètement désintéressée » écrit-elle, suggérant également que cet uniforme leur permettrait également de se mettre – non sans ironie – dans une posture ouvrière héritée de ceux et celles qui travaillent alors dans des ateliers de confection moins marqué par l’excentricité que l’excellence.
J’ai souvent l’impression d’être habillé comme si je travaillais dans une boutique. – Tom Ford
D’ailleurs historiquement, les hommes sont ceux qui ont instauré l’idée de l’uniforme de travail, avec pour principale inspiration celui qu’ils devaient porté à l’armée en signe d’appartenance à une même corporation.
Ce n’est qu’avec leur ascension aux postes de pouvoir – économique et/ou politique – que les femmes ont pu en faire de même, jusqu’alors contraintes d’incarner les tendances de leur temps.
C’est d’ailleurs ainsi que Gabrielle Chanel, Vivienne Westwood ou plus tard Phoebe Philo se sont illustrées par des looks singuliers qui ont de toute évidence contribuer à leur notoriété sur la scène mode, tout comme des personnalités non-créatives du milieu à l’image d’Anna Wintour ou Suzy Menkes.
Ou quand l’habit fait le moine, dans un milieu où les apparences sont de toute évidence reines.
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