Coordonnateur du Projet Spatial du Sénégal SENSAT au Ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’Innovation (MESRI), Pr Gayane Faye explique ici le processus suivi par le Sénégal pour aboutir au lancement prochain de son premier satellite par une fusée de la société SpaceX. Il a aussi expliqué, pour les profanes, l’importance de ce satellite pour le Sénégal.
Le Sénégal va réceptionner son premier satellite en novembre, expliquez-nous le processus qui a abouti à cette date historique ?
Effectivement le Sénégal va réceptionner son premier satellite en novembre 2023, ce qui est historique dans l’histoire de notre pays. Mais pour arriver à cette date, d’énormes efforts ont été consentis. En effet, le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, conscient de l’importance du spatial dans le développement des nations, a eu l’ingénieuse idée de lancer le Sénégal dans le spatial. C’est ainsi qu’en 2019, une convention cadre a été signée avec Ariane Group. Malheureusement, le COVID-19, avec ses conséquences sur l’industrie aérospatiale en particulier, a contraint Ariane group à se recentrer sur les priorités européennes et arrêter ainsi la collaboration avec le Sénégal.
C’est ainsi que le MESRI s’est tourné vers le Centre Spatial Universitaire de Montpellier qui a une grande expérience sur la fabrication et l’exploitation de microsatellite pour avoir lancé le premier CubeSat Français. Faut noter que le CSUM n’est pas une structure commerciale mais plutôt un centre universitaire de formation, de recherche et d’ingénierie spatiale, ce qui constitue un avantage indéniable pour le MESRI dans la mesure où ça permet de faire plus facilement un transfert de compétence et de technologie au profit de nos universités et centres de formations.
Ce projet, dénommé SENSAT, en plus de permettre à notre pays de disposer de son premier satellite, comporte un grand volet transfert de connaissance et de technologie. Cela d’autant plus que le COVID nous a clairement montré l’importance de pouvoir compter sur ses propres ressources humaines.
Pour réussir ce pari, nous avons mis à contribution nos universités et centres de formation, en mettant en place un comité technique de suivi composé de six (06) enseignants chercheurs de nos universités travaillant dans différents domaines comme l’informatique embarquée, la télécommunication, l’électronique et l’électromécanique mais aussi le traitement des données satellitaires. Ce comité participe activement à la mise en œuvre de cet important projet.
Dans le but de permettre à notre pays de disposer de ressources humaines qualifiées dans la fabrication et l’exploitation d’outils spatiaux, nous avons choisi d‘envoyer des jeunes ingénieurs et techniciens se former au CSUM. Une première cohorte de trois (03) ingénieurs a été envoyée en octobre 2020 suivie d’une deuxième de cinq (05) ingénieurs et cinq (05) techniciens envoyée l’année suivante. Après leur formation, ces ingénieurs et techniciens sous le coaching des ingénieurs du CSUM et le suivi des Enseignants chercheurs Sénégalais, a fabriqué le premier CubeSat Sénégalais qui est aujourd’hui fin prête et qui sera réceptionné en novembre pour un lancement en début d’année en Floride aux USA par une fusée de la société SpaceX.
Pouvez-vous expliquer aux profanes que nous sommes c’est quoi l’utilité de ce satellite pour le Sénégal ?
Tout projet spatial doit partir d’un besoin réel. Ce satellite dénommé GAINDESAT-1 (Gestion Automatisé d’INformations et de Données Environnementales par SATellite) permettra de tester un certain nombre d’applications notamment la collecte de données environnementales et l’imagerie spatiale. En effet, plusieurs structures nationales comme la DGRPE (Direction de la Gestion et de la Planification des Ressources en Eau), l’OLAC (Office des Lacs et Cours d’Eau), l’ANACIM entre autres, collectent des données environnementales à travers des stations de collecte installées à travers le pays. Pour rapatrier les données, ils sont obligés de faire le tour de ces stations ce qui est à la fois fastidieux et coûteux ou utiliser la télétransmission en utilisant le réseau des opérateurs de téléphonie ce qui constitue une charge financière supplémentaire. Le projet permettra, à chaque fois que le satellite passe au-dessus du Sénégal (il y aura deux à trois passages par jour) de se connecter à ces stations de mesure et aspirer toutes les données avant de les envoyer à la station de réception de Diamniadio, les données seront ensuite mises à la disposition des structures propriétaires. Ce système de transmission sécurisé va permettre à ces structures de gagner du temps mais aussi et surtout d’économiser beaucoup d’argent. Le satellite qui dispose également d’une caméra va prendre des images du Sénégal pour tester un certain nombre d’applications en agriculture, foresterie entre autres. Le satellite enregistre également les informations sur son fonctionnement dans l’environnement spatial, ce qui pourra être utile pour les prochaines missions.
Il faut également noter que ce premier satellite a pour objectif la maîtrise de la technologie spatiale par la formation de ressources humaines et le transfert de compétence et de technologie. En effet, contrairement à beaucoup de pays Africains qui ont fait faire leur satellite, le Sénégal a pris l’option de former ses propres ressources humaines pour des questions de durabilité et surtout de souveraineté dans le domaine spatial.
Le centre de contrôle spatial qui va avec devrait être opérationnel en juin dernier, qu’en est-il ?
Depuis janvier 2023, nous travaillons à la mise en place du centre de contrôle et de réception des données du satellite. Dans un premier temps, il a fallu concevoir, dimensionner et acquérir l’ensemble du matériel nécessaire à la mise en place du satellite. Ensuite aménager les locaux, avant de faire les installations et enfin procéder aux tests de fonctionnement. Aujourd’hui Alhamdoulilah le centre est fonctionnel et prêt pour une exploitation optimale du satellite. Il a été réceptionné le lundi 23 octobre 2023 par le Ministre de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation le Pr Moussa Baldé qui s’est réjoui de ce pas franchi par notre pays dans sa marche spatiale.
Quel lien entre ce centre de contrôle et l’Agence sénégalaise d’études spatiales ?
Le centre de contrôle et de réception des données du satellite qui vient d’être réceptionné est la première pièce du projet spatial SENSAT mis en place par le MERSI. Il sera adossé aux universités et centres de recherche à l’image du CSUM de Montpellier. L’objectif est d’en faire un centre de formation de recherche et d’innovation dans les différents métiers du spatial, ce qui manque terriblement dans la sous-région. Cela permettra avec l’Agence Sénégalaise d’Études Spatiales qui a été mis en place en mars 2023 par le Président de la République de positionner notre pays parmi les leaders du spatial en Afrique. Il faut noter également l’existence au Sénégal du centre de suivi écologique qui, depuis plus de quarante ans travaille dans l’exploitation des données satellitaires pour le suivi de l’environnement et des ressources naturelles de notre pays et de la sous-région.
40 satellites appartenant à des pays africains ont déjà été lancés, Comment le Sénégal compte rattraper ce retard ?
Oui, le Sénégal sera à partir de 2024 compté parmi les nations spatiales du continent africain. C’est donc un honneur et un privilège pour moi, d’avoir piloté ce projet historique, sous les auspices du Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, le Pr Moussa Baldé, et sur instruction du Président de la République du Sénégal son Excellence M. Macky Sall qui fait de ce projet une priorité nationale. Comme annoncé plus haut, contrairement à beaucoup de pays, le Sénégal a pris l’option de miser sur la formation de ressources suffisantes mais aussi la mise en place d’infrastructures. Cette démarche permettra à notre pays de faire des pas de géant dans la maîtrise des sciences et technologies spatiales et ainsi rattraper son retard et se positionner parmi les leaders africains du spatial.
En Afrique de l’Ouest, il y a le Nigéria et le Ghana. Pourquoi cette absence des pays francophones ?
Le constat malheureusement est là, l’Afrique francophone est en retard dans le domaine spatial. Le Nigéria, un des géants du spatial Africain a capitalisé une expérience de plusieurs années dans le spatial. Le Nigéria a mis en orbite six (06) satellites et dispose aujourd’hui de plusieurs infrastructures dans le domaine. Le Ghana a lancé son premier satellite depuis 2017 grâce à une collaboration avec la JAXA (Agence Spatiale Japonaise). Cependant il faut noter qu’aujourd’hui, en plus du Sénégal qui va lancer son premier satellite dans le premier trimestre de 2024, nous avons le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire qui ont annoncé chacun de leur côté le lancement prochain de leur premier satellite.
Ailleurs dans le continent, en plus de l’Afrique du Sud, l’Égypte et l’Algérie qui sont les trois autres poids lourds du spatial Africain, d’autres pays comme le Maroc, l’Angola, le Rwanda, la Tunisie et récemment le Kenya, l’Ouganda, le Gabon entre autres pressent également le pas.
Tous ces efforts combinés avec la création de l’Agence Spatiale Africaine (AfSA) dont le siège est en Égypte, nous pouvons dire sans nous tromper que le spatial Africain est sur une belle dynamique qui sans nul doute permettra à notre continent de sortir de sa dépendance extérieure dans le domaine spatial et de profiter pleinement du potentiel qu’offre le spatial pour soutenir son développement.