Si la construction de maisons individuelles et d’immeubles de taille intermédiaire en bois est en forte hausse, celle de véritables « tours » n’en est encore qu’à ses balbutiements. La fondation Excellence SMA a organisé un colloque sur la question de la construction bois de grande hauteur. Les participants évoquent l’intérêt et l’importance que vont prendre ces projets.
Avec l’apparition d’une conscience environnementale, qui pousse à produire des bâtiments « durables », la construction bois se sent pousser des ailes. Des ailes qui l’emmènent toujours plus haut, vers des sommets jusque-là inatteignables. Aujourd’hui apparaissent en France des projets toujours plus audacieux, faisant appel à des solutions mixtes bois-lamellé croisé et béton, pour les cages d’ascenseurs et d’escaliers, ainsi que pour les rez-de-chaussée. Lors du colloque « Construction bois de grande hauteur », organisé par la fondation Excellence SMA ce mercredi 5 octobre, plusieurs de ces immeubles ont été présentés, comme le futur Palazzo Méridia (Architecture-Studio), un immeuble de bureaux de 8.000 m² qui doit atteindre la hauteur de 35 mètres (R+9). La tour de logements Hypérion à Bordeaux (Jean-Paul Viguier & associés) dépassera même largement cette taille, et culminera à plus de 50 mètres de haut (R+17).
De vrais-faux IGH
Mais ces deux constructions ne franchissent pas le pas de la réglementation IGH en restant un mètre sous les limites. Car, pour des questions économiques, le passage à une construction considérée comme « de grande hauteur » est encore cher, avec de nombreuses adaptations à faire pour la sécurité. Selon Michel Gostoli, le président d’Eiffage Construction, Hypérion « sera un laboratoire ». Car chaque construction en bois nécessite encore d’obtenir des Appréciations techniques d’expérimentation (ATEx) du CSTB. La construction durable en biomatériaux pose encore des questions. Kevin Beuze, ingénieur chargé d’études de risques du BTP chez Socabat (groupe SMA), résume : « Le bois est sensible à l’eau, aux insectes. On ne constate pas encore de pathologie spécifique à la construction de grande hauteur… car pour l’heure il n’y a que du petit collectif et de la maison individuelle. Mais sur les IGH il y aura un questionnement du comportement du bois face aux conditions climatiques, notamment avec le phénomène de retrait ». Le spécialiste s’interroge par exemple des conséquences d’un simple dégât des eaux – un sinistre fréquent – sur la solidité de l’ouvrage. Il évoque également la question de la sismicité.
Stéphane Hameury, chef de la division Expertise, Avis réglementaire et Recherche du département Sécurité structure et feu, se penche pour sa part sur la question des incendies : « La maîtrise des risques impose, pour un bâtiment standard jusqu’à 50 mètres de haut, une résistance à 90 minutes de certains éléments. Mais pour la construction IGH en bois, il faudra faire la démonstration de la performance des ouvrages. Cette approche ‘performancielle’, de résultat plutôt que de moyen, a été ouverte par le ministère ». La réglementation évolue donc, peu à peu, comme le confirme un autre spécialiste, Serge Le Nevé, adjoint à la direction du pôle Industrie bois construction de l’institut technologique FCBA : « Dans le futur DTU 31.4 pour les façades rapportées en structure bois sur gros œuvre, la ‘traditionnalité’ va passer à 28 mètres. Nous sommes donc en train de changer d’ère, en passant des R+2 à des immeubles de plus grande hauteur. Il y a eu, depuis 6 ou 8 ans, beaucoup de travail qui a été fait ».
L’ivresse des hauteurs
Mais y a-t-il un réel intérêt à construire des tours de bois de hauteurs supérieures à une cinquantaine de mètres ? « Ces immeubles sont très importants ! », tonne Alain Maugard, président de Qualibat. Pour lui, « il faut marquer l’entrée de la filière bois dans la cour des grands, comme le béton et l’acier, c’est une question d’image ». Il considère que le matériau se trouvait jusqu’à présent « handicapé » à rester cantonné à des constructions moins prestigieuses : « Les grands noms de l’architecture sont plus attirés par les IGH que par des petites maisons, c’est évident ». Et l’intérêt montré par les grands groupes de BTP pour le bâtiment bois ne se dément pas. Marcel Chouraqui, le directeur d’Adivbois, est d’accord : « Le bois en grande hauteur ? C’est un enjeu international, puisque des tours se profilent partout dans le monde, au Canada, en Australie, en Autriche… Il faut penser à l’export. Et cela revêt un aspect national : si la grande hauteur est peu appréciée en France, où le marché est plutôt porté vers des immeubles de 6-8 niveaux, les tours ont une valeur de démonstrateur ». Alain Maugard conclut : « Qui peut le plus, peut le moins. Cela donne confiance et déclenche un changement d’image du matériau ». Quant au frein réglementaire, l’ex-président du CSTB tempère : « Le bois n’est pas à part. Il y aura des ATEx, des Avis techniques et des DTU sur les biosourcés… pour les assureurs qui ne prennent pas de risques ».
Le matériau, qui représente aujourd’hui environ 5 % de la construction neuve en France, pourrait ainsi passer à 15 % dans les années qui viennent. A condition toutefois que la filière s’industrialise pour produire localement, et qu’elle opère une montée en compétence pour les opérateurs de la mise en œuvre.