Afin que les chefs d’entreprise attirent les financements et fassent fleurir leurs affaires sur le continent, il y a une condition, indispensable : la stabilité politique. À bon entendeur…
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Fouad Laroui
Écrivain
Publié le 27 décembre 2023
Dimanche dernier, au club house du Golf de Bouznika, pas loin de la capitale marocaine, le PDG d’une grande entreprise chérifienne (nommons-le Youssef) nous racontait ses déboires.
– Ça commence à ressembler à une (mauvaise) plaisanterie. Chaque fois que je suis sur le point de finaliser mon entrée dans un pays africain, après de longues études de terrain, après avoir payé à prix d’or je ne sais combien de consultants, patatras!, un coup d’État se produit et je dois remettre mes plans aux calendes grecques.
Et de nous détailler ses quatre derniers projets qui, effectivement, concernaient les quatre contrées où des militaires ont récemment pris le pouvoir par la force.
Évidemment, un joyeux luron ne manqua pas de lui lancer:
– Voilà donc l’explication de cette série de coups d’État. C’est toi le responsable. C’est toi qui leur porte malheur. La scoumoune!
Et tous les golfeurs et les convives de s’esclaffer. Le PDG rit jaune. Il avait perdu sa chemise à chaque putsch. Heureusement qu’il en avait d’autres, et du bon faiseur. Il conclut:
– Pour moi, l’Afrique, c’est fini. Je vais investir ailleurs.
Cette petite saynète me rappela d’anciens souvenirs de lecture. Étudiant à Paris, j’avais dévoré un livre de René Dumont paru deux décennies auparavant mais qui semblait toujours d’actualité. L’Afrique noire est mal partie, tel était le titre, en forme de conclusion, de l’ouvrage. Sa parution, en 1962, juste après la grande vague des indépendances, avait suscité des réactions passionnées, pour ou contre les thèses que défendait l’auteur.
En gros, il conseillait aux Africains d’abandonner les projets de développement de prestige, notamment industriels, et de faire de l’agriculture leur priorité absolue en privilégiant les cultures vivrières locales. Plusieurs chefs d’État africains s’en étaient offusqués et avaient interdit l’accès de leur pays à l’agronome français. Senghor eut l’honnêteté de reconnaître, vingt ans plus tard, qu’il avait eu tort de critiquer Dumont et qu’il aurait mieux fait de l’écouter.
Construire un co-développement
Vingt ans plus tard, René Dumont reprit son enquête de terrain, avec Marie-France Mottin. Pendant plus d’un an, ils parcoururent des milliers de kilomètres à la rencontre des paysans d’Afrique. Cette fois-ci, l’agronome militant avait le soutien de quelques chefs d’État comme Julius Nyerere ou Kenneth Kaunda. Il en sortit un nouvel ouvrage, L’Afrique étranglée (1980), dans lequel il mettait cette fois l’accent non plus sur les erreurs de stratégie de développement post-colonial, mais plutôt sur la mainmise de l’Occident sur les ressources du continent.
Il ajouterait peut-être la Chine aujourd’hui. Encore un livre que j’avais lu avec beaucoup d’intérêt.
Dans ce club house de bord de mer, je fis part de mes souvenirs à mes amis. Leur réaction fut unanime. Dumont avait eu raison, en son temps, mais nous avons changé d’époque, ou plutôt: nous allons changer d’époque. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de mal se développer (1962) ou de se laisser piller par l’Occident (1980), il s’agit de construire un codéveloppement entre pays africains, puisque certains sont devenus de vrais investisseurs et disposent de savoir-faire et de capacités techniques qui n’ont rien à envier aux anciennes puissances coloniales. L’un des convives assura qu’il était prêt à investir dans l’industrie pharmaceutique, un autre dans le paiement électronique, un troisième dans l’IA…
– Encore faudrait-il, interrompit Youssef, qu’il n’y ait pas un coup d’État à chaque nouvelle saison. Moi, on ne m’y reprendra plus!
Message transmis aux militaires. Qu’ils restent dans leurs casernes, s’ils veulent que leurs frères africains viennent investir chez eux pour un développement africano-africain…