Après l’annonce de la mort en prison du principal opposant à Vladimir Poutine, des rassemblements à sa mémoire ont eu lieu hors de Russie, mais aussi, sous l’œil de la police, dans les rues de la capitale russe et dans quelques autres villes. Dans la foule moscovite, quelques mots reviennent en boucle : « C’est la fin des espoirs. »
La mort d’Alexeï Navalny « dit la faiblesse du Kremlin et la peur de tout opposant », selon Emmanuel Macron
Le président français a salué de nouveau vendredi soir la « mémoire » de l’opposant Alexeï Navalny, dont la mort dans sa prison de l’extrême-nord de la Russie dit, selon lui, « la faiblesse du Kremlin et la peur de tout opposant », à un mois des élections présidentielles en Russie, qui devraient sans surprise acter la réélection du chef du Kremlin, en particulier après l’invalidation par la commission électorale de la candidature du seul opposant à son offensive en Ukraine, Boris Nadejdine.
« Une forme d’impunité s’est installée. Tuer un opposant, ils le font, interdire les autres candidats, ils le font. Je vois cela comme un révélateur », a encore critiqué Emmanuel Macron, la mine grave.
« Je pense ce soir à son épouse, à sa famille, lui qui dément le déclin du courage contre lequel nous mettait en garde [Alexandre] Soljenitsyne [écrivain russe et dissident du régime soviétique] », a déclaré le chef de l’Etat français depuis l’Elysée, à l’occasion de la signature d’un accord de sécurité avec son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Alexeï Navalny « est maintenant un vrai et incontestable héros », dit le metteur en scène russe Kirill Serebrennikov
« Aujourd’hui est une journée noire. Alexeï Navalny a été tué. Tué, par la prison, tué à petit feu et douloureusement. Ils ont tout fait pour le tuer. Ils échouèrent un jour, aujourd’hui ils l’ont fait. Quelle qu’ait été la pression subie, Navalny a continué de leur rire au nez depuis sa prison toutes ces années. Il deviendra désormais et pour toujours le symbole du courage et de l’inébranlable volonté en résistance à ce système criminel. Il est maintenant un vrai et incontestable héros. »
[Traduit du russe par Joël Chapron, spécialiste des cinématographies d’Europe de l’Est]
Le principal opposant russe a passé ses derniers jours isolé dans une prison du district autonome (d’)Iamalo-Nenets, dans le Grand Nord russe. Par le biais de messages passés à ses avocats et diffusés par son équipe sur les réseaux sociaux, il y racontait ses conditions de vie.
Arrivée dans sa nouvelle prison : Le 26 décembre, M. Navalny a posté de sa nouvelle colonie pénitentiaire de Kharp son premier message, après n’avoir donné aucunes nouvelles pendant des semaines en raison de son transfert. Il se disait fatigué d’un voyage de vingt jours, mais ajoutait : « Ne vous inquiétez pas pour moi, tout va bien » « Je suis votre nouveau grand-père gel », ironisait-il, se comparant à l’équivalent du Père Noël dans le folklore russe. « Je vis maintenant au-delà du cercle polaire (…) mais je ne dis pas “ho-ho-ho”, plutôt “oh-oh-oh” quand je regarde par la fenêtre, où c’est d’abord la nuit, puis le soir, puis à nouveau la nuit », racontait-il.
Conditions de vie : « L’idée selon laquelle Poutine était (suffisamment) satisfait de m’avoir placé dans une caserne du Grand Nord pour qu’ils cessent de me mettre à l’isolement était… naïve », déclarait l’opposant, quelques jours plus tard. M. Navalny a passé plus de 300 jours à l’isolement, une punition pour des violations que lui imputent les autorités carcérales, mais que le militant voit comme une vengeance.
Autorisé à sortir pour une promenade quotidienne dans l’obscurité totale à 6 h 30 du matin, M. Navalny s’est « promis qu’il sortirait par n’importe quel temps ». Sa cellule, quant à elle, mesure « onze pas d’un mur à l’autre ». Les températures peuvent descendre jusqu’à − 32 °C. « Même par une telle température, on peut marcher plus d’une demi-heure, à condition d’avoir le temps de faire repousser son nez, ses oreilles et ses doigts », ironisait-il encore le 9 janvier.
Le 22 janvier, il a également raconté que les gardiens réveillaient tout le monde à cinq heures pour l’hymne national russe. « Et, juste après cela, la deuxième chanson la plus importante du pays : “Je suis russe” » du chanteur Shaman, la nouvelle star des grands concerts « patriotiques » organisés par le Kremlin. « Imaginez la scène : district autonome (d’)Iamalo-Nenets, nuit polaire, dans une colonie pénitentiaire, le prisonnier Navalny, qui purge une peine de dix-neuf ans et que la propagande du Kremlin réprimande depuis des années pour avoir participé à des marches russes, s’exerce à chanter “Je suis russe” », se moquait l’opposant.
Amendes. A une audience au tribunal le 15 février − à la veille de sa mort −, Alexeï Navalny est apparu, en vidéo, de bonne humeur, en train de plaisanter aux dépens du juge au sujet d’une série d’amendes qui lui avaient été infligées. « Votre honneur, je vais vous envoyer mon numéro de compte personnel pour que vous, avec votre énorme salaire de juge fédéral, puissiez m’envoyer de l’argent », a-t-il déclaré en riant : « Je n’ai plus d’argent et, grâce à vos décisions, j’en aurai encore moins. Alors envoyez-en moi ! »
Son dernier message. Le dernier message de M. Navalny, diffusé le jour de la Saint-Valentin, était dédié à sa femme, Ioulia. « Toi et moi, nous avons tout, comme dans la chanson : des villes, des lumières d’aérodromes, des tempêtes de neige bleues et des milliers de kilomètres qui nous séparent », écrivait-il, citant une chanson populaire de l’ère soviétique. « Mais je sens que tu es près de moi à chaque seconde et je t’aime de plus en plus », disait-il.
Plusieurs manifestations à travers l’Europe, en réaction à la mort d’Alexeï Navalny
- Aux Pays-Bas, plusieurs centaines de personnes ont manifesté place du Dam, devant le palais royal à Amsterdam, ainsi que devant l’ambassade russe à La Haye, sur les grilles de laquelle un portrait du défunt a été accroché. Les manifestants d’Amsterdam portaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Poutine est un tueur » et « N’abandonnez pas », selon l’agence de presse ANP.
- En Suisse, quelque 150 personnes se sont réunies place des Nations à Genève, portrait de l’opposant ou bouquet de fleurs blanches à la main, a constaté l’Agence France-Presse. Une femme portait une pancarte « Putin is a killer » (« Poutine est un tueur »). A Zurich, environ 300 personnes se sont spontanément rassemblées pour une cérémonie commémorative près de la gare principale, a rapporté l’agence Keystone-ATS. Certains montraient des affiches portant les mots « N’abandonnez jamais », écrits à côté du portrait d’Alexeï Navalny. « Poutine a tué Navalny », disait une autre affiche.
- A Londres, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées en face de l’ambassade de Russie, derrière des barrières, portant des pancartes, en anglais ou en russe, disant « Poutine assassin », « Assassins », « Navalny, notre héros », « Ma Russie est en prison », « N’abandonnez pas », « Nous sommes Navalny », ou encore « Poutine, brûle en enfer. »
Des centaines de personnes se rassemblent à Berlin
Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées en fin d’après-midi vendredi devant l’ambassade de Russie à Berlin après l’annonce de la mort d’Alexeï Navalny. « Poutine meurtrier ! Poutine à La Haye », scandait la foule massée sur la célèbre avenue Unter den Linden, dans le centre de la capitale allemande. Dans une foule en majorité russophone à laquelle se mêlaient des Allemands, de nombreuses pancartes portaient des photos, des citations de l’opposant ou des insultes à l’encontre de Vladimir Poutine.
« C’est un coup dur sur le plan émotionnel. Nous attendons la confirmation officielle de la famille », a déclaré à l’Agence France-Presse Evgueni Syrokin, coordinateur du mouvement FreeNavalny en Allemagne. « Cela nous motive à continuer de travailler. Nous luttons contre Poutine », a ajouté l’homme de 43 ans, une grande photo en noir et blanc de l’opposant à la main. Derrière lui, fleurs, bougies et photos d’Alexeï Navalny se multipliaient sur le trottoir.
« Je me sens complètement vide. Je ne suis pas un grand militant, mais je prends ça très au sérieux. Cette nouvelle m’a simplement coupé le souffle », a déclaré Mikhaïl Filippov, 40 ans, qui a fui la mobilisation en Russie avec son fils de 21 ans. Il a déposé un bouquet de tulipes sur l’autel improvisé.
« Ils l’ont tué, il n’y a aucun doute là-dessus. Pour moi, c’est juste l’horreur à un niveau personnel. C’est un signe que la boussole a perdu le nord », a expliqué, pour sa part, Marat Guelman, 63 ans, un collectionneur russe renommé, critique des autorités, installé désormais à Berlin. « Un héros doit être remplacé par cent autres héros. D’autres doivent lever la tête et dire : je n’ai pas peur. J’espère vraiment que des gens seront touchés par la vie et la mort d’Alexeï et que ça les poussera à servir le pays », a-t-il ajouté.
Des Russes expatriés se rassemblent à Varsovie et à Vilnius après la mort d’Alexeï Navalny
Selon des témoignages recueillis par l’Agence France-Presse, une manifestation a rassemblé une centaine de personnes dans la capitale polonaise, Varsovie, devant l’ambassade de Russie, en majorité des jeunes, dont beaucoup semblaient bouleversés par la mort d’Alexeï Navalny.
Denislan, un Russe de 29 ans qui n’a pas souhaité donner son identité complète, a expliqué être venu pour protester contre les « assassinats politiques », et voir en Navalny un « symbole de la société civile russe ». « Je suis ici car la Russie devrait et pourrait être un pays démocratique », a-t-il déclaré d’une voix tremblante.
Des bougies ont été allumées et des fleurs déposées contre le grillage entourant le bâtiment sévèrement gardé de l’ambassade de Russie en Pologne. « Les fonctionnaires ici sont également responsables de la mort de Navalny », a estimé Natalia Kondel, une Russe qui a fui son pays après avoir protesté contre l’invasion de l’Ukraine. Les manifestants ont lancé des slogans, dont « Poutine, un assassin », et « Ne jamais oublier, ne jamais pardonner ».
Plusieurs centaines de personnes brandissant des portraits du défunt se sont également rassemblées en Lituanie, pays très critique envers la Russie. La manifestation s’est tenue au mémorial des victimes de l’occupation soviétique.
Une Russe qui a refusé de décliner son identité et vit en Lituanie depuis l’an dernier a affirmé que Navalny était « une personne qui disait ce [qu’elle] pense et [lui] donnait de l’espoir ». « Même depuis sa prison, il parvenait à trouver de la force et à en donner à ceux qui résistent », a-t-elle dit. « Je pensais qu’il vivrait toujours », a-t-elle déploré.
Le chef de l’ONU réclame une enquête « complète, crédible et transparente »
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, « est choqué par les informations sur la mort en détention de l’opposant Alexeï Navalny (…) et appelle à une enquête complète, crédible et transparente sur les circonstances » de sa mort, a déclaré vendredi son porte-parole, Stéphane Dujarric.