Dessins en hommage à nos confrères Ghislaine Dupont et Claude Verlon, morts au Mali le 2 novembre 2013.
A l’occasion de la date anniversaire de l’assassinat au Mali, le 2 novembre 2013, des deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, la Maison des Journalistes à Paris accueille une exposition de dessins de presse. Les dessinateurs fustigent l’Etat et la justice pour les lenteurs de l’enquête criminelle et s’inquiètent des menaces qui planent sur la liberté d’informer dans notre monde en conflit.
©Adrien Wattel
Ils s’appellent Amiot, Faujour, Helkarava, Glez, Biz, Wojniak, pour ne citer que les plus connus. Ils sont caricaturistes et dessinateurs, Français et Africains, jeunes et vétérans. Ils se sont mobilisés pour commémorer le troisième anniversaire du double assassinat tragique de nos confrères Ghislaine et Claude, survenu à Kidal, dans le nord du Mali en 2013. Leurs dessins et caricatures, réalisés pour l’occasion, sont exposés du 27 octobre au 25 novembre 2016 à la Maison des journalistes, à Paris (35, rue Cauchy, 75015 Paris).
Lenteur de la justice. Silence des militaires stationnés sur le lieu du drame. Faillite de l’Etat. L’Etat français et ses institutions ont failli à leur mission fondamentale d’assurer la sécurité et la protection des journalistes. Tel semble être le message principal que ces artistes de la presse, réunis sous l’égide de l’association. Les Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, ont voulu adresser aux visiteurs de l’exposition. A travers leurs œuvres, s’exprime au-delà de l’hommage, une demande urgente pour la vérité et la justice. C’est aussi le cri d’alarme de toute une communauté de professionnels, qui, confrontés aux piétinements de l’enquête sur le dossier des disparus de Kidal, s’interrogent sur leur propre avenir.
Tête de mort et kiosques couleur sang
Leurs interrogations sont au cœur des dessins exposés à la Maison des journalistes. Une cinquantaine de dessins se répartissent sur deux étages et entre des thématiques qui vont de la faillite des institutions face au terrorisme à la nécessité de faire éclater la vérité sur les attaques meurtrières sur Ghislaine et Claude, en passant par les menaces que le terrorisme fait peser sur la liberté de la presse dans le monde et le lourd tribut payé en particulier par Radio France Internationale (RFI), qui a perdu 4 de ses journalistes depuis quinze ans dans les pays en conflit.
» Nouveaux Kiosques ? »Trax/Les Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon
Rien ne décrit mieux l’incertitude qui plane sur les circonstances de la disparition de Ghislaine et Claude que le dessin représentant la tête de mort transformée en un immense point d’interrogation. Au centre, on distingue deux individus agenouillés sur le sable, les mains attachées dans le dos, en attendant d’être exécutés. Ce dessin qui met en scène avec un sens consommé du spectaculaire la violence des circonstances de l’assassinat, est signé Helkarava, jeune dessinateur de 28 ans repéré par le festival international de la bande dessinée d’Angoulême.
La lenteur de la justice est le sujet d’un dessin allégorique de Thibault, un autre dessinateur talentueux. Le thème est magistralement incarné ici par la déesse de la Justice en personne qu’on voit avancer les yeux bandés à travers le désert. Si celle-ci pointe son glaive avec fierté vers les dunes d’en face, elle a tout l’air de tâtonner dans le noir en plein jour. Dessinatrice de la revue XXI, Juliette Léveillé revient pour sa part sur les principales zones d’ombre dans le dossier des journalistes assassinés : Par qui ? Dans quelles circonstances ? Au nom de qui ? Pourquoi ? L’artiste a choisi de dessiner les suspects en blanc, avec au fond un soleil rouge menaçant. Le rouge est mis. Difficile de ne pas être sensible à l’usage très artistique que font les dessinateurs de la couleur rouge pour signifer le sang versé, le danger, ou tout simplement pour rappeler le logo rouge de RFI, l’alma materdes deux journalistes disparus.
En fin de compte, c’est à la graphiste militante Trax que l’on doit l’utilisation la plus puissante de la couleur rouge. Inoubliable son dessin intitulé « Nouveaux kiosques ? », donnant à voir un kiosque de presse éclaboussé de sang. « Si c’est ça l’avenir de la presse, il a de quoi donner la chair de poule à toute notre profession inquiète du monde qui vient », s’exclame Darline Cothière, directrice de la Maison des Journalistes (MdJ).
Des héros pas comme les autres
Visiblement émue par l’empathie qui se dégage de ces dessins, Darline Cothière n’a cesse de répéter aux journalistes membres de l’association Les Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon combien elle était fière d’accueillir cette exposition dans les locaux de MdJ. Elle a été particulièrement sensible, comme d’ailleurs tous les journalistes en résidence à la MdJ, à la lutte contre le silence et l’oubli à laquelle appellent les artistes.
Unique au monde, la MDJ que l’Haïtienne dirige depuis plus de 10 ans accueille des journalistes du monde entier qui ont été contraints de fuir leur pays à cause des persécutions dont ils y ont été victimes. « Les résidents que nous avons en ce moment,explique Darline Cothière, sont Afghans, Rwandais, Syriens, Ouzbeks et Turcs. Je les ai vus scruter les dessins longuement. C’est sans doute parce que les persécutions racontées par les dessinateurs font écho à leurs propres expériences. » « Ghislaine Dupont et Claude Verlon sont devenus en quelque sorte leurs héros », ajoute-t-elle.
Le duo a aussi profondément marqué leurs confrères parisiens. Les souvenirs de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon restent en effet très vivaces à
« Un journaliste à deux balles »Wojniak/Les Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon
RFI, où ils avaient travaillé depuis plus de vingt-cinq ans. Leurs collègues se souviennent d’eux avec tendresse et respect pour leur passion et leur professionnalisme.
Le 2 novembre 2016, cela fera trois ans jour pour jour que le tandem a été assassiné. Ghislaine, journaliste vétéran au service Afrique, Claude Verlon, grand technicien de reportage, se trouvaient ce samedi 2 novembre 2013 dans la ville de Kidal pour réaliser une interview avec un chef touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). C’est à la sortie de l’interview en pleine ville de Kidal qu’ils ont été enlevés avant d’être abattus par leurs ravisseurs. Leurs corps criblés de balles ont été retrouvés le long d’une piste s’enfonçant dans le désert.
Le groupe terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a revendiqué les meurtres, mais les enquêtes criminelles ouvertes à Bamako et à Paris n’ont pas réussi malgré trois années d’investigation à faire la lumière ni sur les circonstances des assassinats, ni sur les mobiles, ou sur les identités des meurtriers. Le juge en charge du dossier au parquet de Paris a demandé en 2015 la déclassification du dossier qui avait été classé « Secret défense » à cause sans doute de la position stratégique de Kidal, situé en périphérie d’une région importante pour l’approvisionnement de l’uranium civil et militaire. La levée de secret défense promise par le président Hollande en personne et obtenue en fin 2015 seulement pour certaines pièces du dossier, n’a pas permis de reconstituer les circonstances des meurtres de Ghislaine et Claude de manière à rechercher sérieusement la vérité.
Aussi, en faisant de cette difficile recherche de vérité et justice le leitmotiv des dessins qu’ils ont produits pour l’exposition-hommage organisée à l’occasion de la troisième date anniversaire de la disparition de nos confrères, les participants ont-ils mis le doigt sur la plaie. Seront-ils plus écoutés ? Laissons le dernier mot aux dessinateurs, plus particulièrement à Loïc Faujour dont le personnage exposé à la Maison des journalistes résume bien la situation:: « C’est pas gagné… La justice est aveugle… L’Etat muet… Et les médias sourds !! »