ÊTRE UNE FEMME AFRICAINE EN 2025

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Par Rama YADE
Portrait de Rama YADE- Ancienne secrétaire d'État chargée des Affaires étrangères et des Droits de l'homme
Portrait de Rama YADE- Ancienne secrétaire d’État chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’homme

Alors qu’on célèbre le Mois des Femmes, il faut avouer qu’à l’échelle des relations internationales, la femme africaine reste une singulière figure. En Afrique, le féminisme n’a jamais été en terre étrangère.

Rama YADE  |   Publication 12/03/2025

Alors qu’on célèbre le Mois des Femmes, il faut avouer qu’à l’échelle des relations internationales, la femme africaine reste une singulière figure. D’un côté, elle est perçue comme le symbole démographique d’une Afrique qui se reproduit à une vitesse qu’il convient absolument de contenir. De l’autre, elle est celle qui soude les communautés et, hors de la maison, se révèle la championne du monde de l’entrepreneuriat. Entre les deux, elle est cette victime directe des conflits africains. A l’instar d’un Jean Racine, elle pourrait pourtant dire n’avoir ni mérité cet excès d’honneur ni cette indignité. Car la femme africaine porte en elle à la fois un imaginaire universel qui fait d’elle une femme comme une autre et une singularité qui la rend à la fois spéciale et exemplaire.

La femme africaine, ce héros

Universelle, la vie de la femme africaine, comme de nombreuses femmes dans le monde, tourne autour de la famille, du couple, du travail et de la santé. Au regard des données internationales néanmoins, chaque dimension de son existence semble être une épreuve. C’est elle la cible statistique privilégiée des organisations multilatérales.

D’abord, le mariage

Alors que seulement 2% de la population mondiale vivent dans des foyers polygames selon une étude de 2019 du Pew Research Center, c’est en Afrique subsaharienne que la polygamie est le plus pratiquée (11% de la population), avec toutes les rivalités et souffrances que peuvent charrier les familles composées de plusieurs coépouses, amenant la Commission onusienne des droits de l’Homme à considérer la polygamie comme une discrimination à l’encontre des femmes

Ensuite, la grossesse.

Toujours selon les analyses internationales à l’image du rapport d’avril 2024 de l’Agence des Nations unies pour la santé sexuelle et reproductive, les femmes africaines sont 130 fois plus susceptibles de mourir de complications liées à la grossesse que les femmes d’Europe et d’Amérique du Nord. Quand elles survivent à l’accouchement, c’est leur enfant qui entre dans la zone de risque : pour l’Organisation mondiale de la santé, le taux de mortalité infantile indique 72 décès pour 1000 naissances vivantes en Afrique, le taux le plus élevé du monde.

Puis, il y a le travail

Quand elles travaillent, c’est, selon un rapport 2018 d’Onu-Femmes, majoritairement (89%) dans l’emploi informel. Ces données éprouvantes ont conduit, à un moment donné, à louer la résilience des Africaines tant il est difficile d’imaginer de telles épreuves pour les femmes mieux loties d’autres régions, toujours selon les mêmes statistiques. Pourtant, cette réalité perdure quand il s’agit des femmes africaines. Pour l’écrasante majorité d’entre elles, ni cours de yoga, ni interrogations sur leur charge mentale, ni psychiatre. La célébration de la résilience des femmes africaines a été assez commode pour les laisser face à leur épuisant quotidien en vertu de cette vieille croyance ancrée dans les imaginaires selon laquelle les femmes noires sont plus résistantes à la souffrance. Dans le milieu médical, ces préjugés sont à l’origine de déclenchements précoces de l’accouchement et davantage par voie césarienne. Parmi les Américaines, les femmes noires décèdent trois fois plus en couches que les femmes blanches. Leur niveau de vie n’est d’aucun secours. Même avec de bons revenus, un rapport de 2023 de l’Unfpa révèle que les décès maternels parmi les diplômées universitaires afro-américaines demeurent 1, 6 fois plus élevés que parmi les femmes blanches sans diplôme.

Enfin, face à la mort

Malgré tout cela, au soir de leur vie, les femmes africaines vivent plus longtemps que les hommes. Toutefois, de toutes les femmes dans le monde, elles affichent l’espérance de vie la plus faible (65 contre 81 ans en Europe) selon des données de 2023. Dans les zones de conflits comme l’Est de la Republique du Congo ou le Soudan, elles sont des cibles privilégiées du viol utilisé comme arme de guerre. Elles sont aussi les actrices les plus efficaces lorsqu’il s’agit de reconstruire les communautés brisées par la guerre, au point d’inspirer la Résolution historique 1325 de l’Onu sur la participation des femmes aux processus de paix.

Aspirer à la normalité

La femme africaine ne devrait pourtant pas à être ce héros à chaque instant de sa vie. La guerrière a droit au repos et surtout, loin des oripeaux de la résilience ou des préjugés, d’être une femme comme une autre, forte à certains moments, vulnérable à d’autres. Elle aussi devrait avoir accès au mixeur, à la machine à laver, à la voiture, à des enfants scolarisés, à des modes de garde pour ses bébés, à des cours de pilates, à une formation professionnelle. Et, sans doute, comprendra-t-on alors que la femme africaine n’existe pas. Il y a des femmes africaines, aussi diverses que leurs envies et les cultures qui coexistent sur le continent. En particulier, les jeunes générations, aux destins plus divers, ne sauraient être réduites à une figure uniforme et essentialisée. Etre une femme africaine en 2025, c’est aspirer à la normalité.

Du féminisme africain

Comment être normale sur un continent d’héroïnes ? Les statistiques internationales précitées ne rendent pas justice au féminisme africain et à ses accomplissements.

Selon l’Index des femmes de pouvoir de 2024 établi par le Council on Foreign Relations, si les pays occidentaux dominent la moitié du classement féminin des femmes chefs d’Etat et de gouvernement dans le monde, c’est dans le Sud de l’hémisphère que se trouvent la plupart des parlementaires femmes, le Rwanda se trouvant en tête du palmarès avec 61% de femmes au sein de son Parlement. Parmi les dirigeantes d’organisations multilatérales, on trouve la Nigériane Ngozi Okonjo Iweala (Organisation mondiale du commerce), la Rwandaise Louise Mushikiwabo (la Francophonie) ou encore l’Ougandaise Winnie Byanyima (Onusida). Sur le front des inégalités sur le marché du travail, la Namibie (8e) fait mieux que l’Espagne (10e), la Belgique (12e) ou encore la Grande-Bretagne (14e) et l’Afrique du Sud (18e), mieux que la Suisse (20e), la France (22e) et les Etats-Unis (43e), selon le Global Gender Gap Index 2024.

Ces éléments encourageants ne sont pas une surprise quand on sait le rôle exceptionnel des femmes dans la marche africaine vers le progrès. Comme je le rappelle dans mon récent livre Les Leçons de l’Amérique. Nation et Puissance (L’Harmattan, 2024), l’ordination des femmes n’était-elle pas autorisée dans l’Egypte ancienne alors que le reste du monde en débat encore ? En Nubie, les Candaces, qui maniaient l’épée et se faisaient inhumer dans les pyramides, n’ont elles pas, en 700 ans, construit plus de pyramides que les pharaons en trois millénaires de civilisation, comme le rappelle l’historien Joseph Ki-Zerbo dans son Histoire de l’Afrique noire, d’hier à demain (Hatier, 1972) ? Ces mêmes Nubiennes n’avaient-elles pas le droit de choisir leur mari et même le moment de se marier ? Les Amazones du royaume du Dahomey ne constituaient-elles pas un corps essentiel des armées de Béhanzin, dès le XVIIe siècle ? Les sociétés matrilinéaires n’ont-elles pas essaimé partout, chez les Akans, les Zandés, les Baïnouks, les Bochimans, etc. ? Les vaillantes de Nder n’ont-elles pas incarné bravement la résistance à l’esclavage maure au XIXe siècle ? De Aline Sitoé Diatta à la reine nigérienne Sarraounia Mangou, en passant par Kimpa Vita du Kongo, on ne compte plus les héroïnes -étrangement oubliées- qui ont accompagné le continent sur le chemin des indépendances et de la liberté. En Afrique, le féminisme n’a jamais été en terre étrangère.

Rama YADE
Directrice Afrique Atlantic Council

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