Xi Jinping a plaidé mardi, au forum de Davos, en faveur d’une plus grande coopération internationale. Une réplique au président américain élu.
C’est à un véritable symbole du basculement du monde que le gratin de l’économie mondiale a pu assister en direct, mardi, au sommet de Davos, à l’occasion du Forum économique mondial 2017. Au moment où le président américain élu, Donald Trump, s’en prend au libre-échange, conteste la légitimité de certaines organisations internationales, prône un désengagement des États-Unis dans les affaires du monde et menace de remettre en cause la lutte contre le changement climatique, le leader communiste chinois, Xi Jinping, lui, s’est livré à un vibrant discours pour défendre la mondialisation, le multilatéralisme et même la transition écologique !
Dans la grande salle du palais des congrès pleine à craquer, le premier président chinois à avoir accepté de participer au grand raout du capitalisme mondial dans la petite station de ski suisse a endossé l’habit de nouveau leader de la communauté internationale. Et a interpellé –sans jamais le nommer – son homologue américain. « La crise financière n’est pas une conséquence inévitable de la mondialisation. C’est la conséquence de la quête excessive de profit du capital financier et d’une grave défaillance de la régulation financière. Accuser la mondialisation économique pour les problèmes du monde n’est pas réaliste, et cela n’aidera pas à résoudre les problèmes », a-t-il attaqué.
À tous ceux qui prônent le repli sur leur marché intérieur, le dirigeant autoritaire communiste, dont le pays a massivement profité de la libéralisation des échanges depuis 2001 et son entrée à l’OMC (sans toujours jouer le jeu de la concurrence équitable), réplique que « la mondialisation a été le moteur de la croissance mondiale, a facilité les échanges de biens et les mouvements de capitaux, le progrès scientifique, technologique ainsi que de la civilisation et les interactions entre les peuples« .
Un discours qui ressemble à un avertissement pour Donald Trump. « Nous devons continuer à nous engager à promouvoir le libre-échange, l’investissement (…) et dire non au protectionnisme. Y céder serait comme s’enfermer dans une chambre noire (…) Personne ne sortira vainqueur d’une guerre commerciale (…) Que ça vous plaise ou non, l’économie mondiale est un océan dont on ne peut pas s’échapper. Toute tentative pour bloquer les flux de capitaux, des technologies, des produits, des industries et de personnes entre les économies (…) est tout simplement impossible. Cela irait à l’encontre de l’histoire. »
Xi Jinping ne nie pourtant pas les difficultés liées à la mondialisation. « C’est une épée à double tranchant. Quand l’économie mondiale est sous pression, il est difficile de faire grossir le gâteau. Il peut même rétrécir, ce qui complique l’arbitrage entre croissance et redistribution, entre le capital et le travail, entre l’efficacité et l’équité. » Mais face à ce danger, le président chinois plaide pour l’investissement dans l’innovation et la coopération internationale afin de limiter, autant que faire se peut, ses effets négatifs, plutôt que le repli sur soi.
« Nous devrions adhérer au multilatéralisme pour augmenter l’autorité et l’efficacité des institutions multilatérales. Nous devons honorer nos promesses et respecter les règles. Aucun ne devrait sélectionner celles qui l’arrangent ou les biaiser comme il l’entend. L’accord de Paris sur le climat est un engagement difficilement acquis (…). Tous les signataires devraient s’y tenir au lieu de revenir sur leurs engagements. C’est notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. »
Un discours qui fait sursauter le Français Jacques Gravereau, président d’honneur de l’Institut HEC Eurasia, qui sort un livre sur La Chine conquérante*. « C’est un merveilleux numéro d’illusionniste. Chacun sait que le gouvernement chinois traite de façon différente ses champions nationaux et les entreprises étrangères. Il a signé le traité de l’OMC en 2001, mais ne le respecte pas du tout sur un grand nombre de points. Il y a des secteurs entiers qui sont fermés dans les faits alors qu’ils devraient s’ouvrir, comme le secteur automobile », explique ce spécialiste.
Opération de communication ou pas, Pékin se dresse en leader de la coopération économique internationale. Et au nom de « la lutte contre la pauvreté, le chômage, le fossé grandissant entre les revenus », qui plus est. Depuis l’après-guerre, ce rôle avait été assumé par les États-Unis. Mais le nouveau président américain envisage de se désengager des affaires du monde, voire de sortir de l’Otan ou de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il propose aussi des baisses d’impôts pour les plus riches… La Chine a évidemment intérêt à combler le vide, elle qui cherche à peser davantage sur les décisions des institutions internationales comme le Fonds monétaire (FMI).
Au moins sur le papier, le président chinois donne des gages aux Occidentaux. « La Chine est engagée sur une politique fondamentale d’ouverture gagnant-gagnant (…). Nous étendrons l’accès à notre marché pour les investisseurs étrangers, construirons des zones de libre-échange aux standards élevés, renforcerons notre protections des droits de propriété et ferons du marché chinois un marché plus transparent et mieux régulé. »
Xi Jinping assure aussi que « la Chine n’a aucune intention de stimuler sa compétitivité en dévaluant le renminbi et s’engagera encore moins dans une guerre monétaire » – ce dont l’accuse le président américain. Il s’engage à réduire ses surcapacités (surproduction dénoncée par l’Union européenne dans l’acier, par exemple) et poursuivra le désendettement inquiétant de ses entreprises. « La Chine ne fermera pas ses portes, elle les gardera grandes ouvertes et nous espérons que les autres pays les laissent également ouvertes à nos investisseurs », a-t-il expliqué. Avant de conclure : « Nous ne devons pas nous plaindre, faire porter la faute sur les autres, perdre confiance ou fuir nos responsabilités. » Encore un coup à Donald Trump.
Pour François Gravereau, la Chine se présente en « pays sérieux, aimable, prévisible », par contraste avec Donald Trump qui pourrait « mener à une guerre commerciale ». C’est une opération de communication » qui « ne trompe personne parmi les spécialistes, mais qui est destinée à faire passer une image positive de la Chine pour le bon peuple ».
* La Chine conquérante, enquête sur une étrange superpuissance, Jacques Gravereau, éditions Eyrolle, 284 pages – 19 euros.