Soixante ans après les indépendances, la colonisation reste une affaire politique en France

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Soixante ans après les indépendances, la colonisation reste une affaire politique en France
© Eric Feferberg, AFP | Pour l’historien Pascal Blanchard : « Tant que l’Histoire [coloniale] n’entrera pas au musée, elle restera conflictuelle ».

Les propos d’Emmanuel Macron sur la colonisation, qu’il a qualifiée de « crime contre l’humanité », suscitent de nombreuses réactions. Interview de l’historien Pascal Blanchard sur un sujet qui enflamme le débat sans jamais sortir des polémiques.

Dans une interview accordée à la chaîne privée algérienne Echourouk News, mercredi 15 février, lors d’un déplacement en Algérie, l’ancien ministre et candidat à la présidentielle Emmanuel Macron a qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », tout en affirmant ne pas vouloir « balayer tout ce passé ». Ses propos ont déclenché une cascade de vives réactions au sein de la classe politique française et au-delà.

Pascal Blanchard, historien, chercheur au CNRS au Laboratoire communication et politique, spécialiste du « fait colonial » et des immigrations en France revient sur un sujet qui enflamme le débat politique sans jamais parvenir à sortir des polémiques.

France 24 : La colonisation peut-elle être considérée comme un crime contre l’humanité ?

Pascal Blanchard : La définition de crime contre l’humanité doit d’abord être une définition à caractère juridique. Le problème est que la colonisation est un sujet très complexe, qui n’est pas aussi facilement qualifiable que l’esclavage, considéré comme un crime contre l’humanité en France depuis la loi Taubira de 2001. Il y a eu des guerres coloniales, des colonisations en termes d’administration, des guerres de conquête, mais aussi des exactions au moment des conflits coloniaux. Globaliser la colonisation comme un tout pour la qualifier de ‘crime contre l’humanité ‘ est complexe, juridiquement et historiquement. En revanche, en ce qui concerne certains éléments historiques de la colonisation, comme la conquête de l’Algérie, les conflits comme le Cameroun dans les années 1950, les guerres d’indépendance, le massacre de Madagascar en 1947, on peut se poser la question de les qualifier, juridiquement et historiquement, comme tel.

Pourquoi la France a-t-elle tant de mal à parler de son histoire coloniale ?

Pour trois raisons. Parler de la colonisation, c’est interroger la République sur ses pratiques, sur l’idée qu’elle a pu un moment considérer que les hommes n’étaient pas égaux au sein même de l’édifice républicain. Ensuite, nous sommes dans un pays où il y a encore des millions de personnes issues de cette histoire, d’un côté les pieds noirs, de l’autre les harkis, mais aussi les enfants issus de l’immigration postcoloniale algérienne, sénégalaise… Il nous reste aussi des ‘confettis’ que l’on appelle les vieilles colonies, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion. Enfin, nous sommes dans un pays, le pays des musées, où nous n’avons pas un musée dédié à l’histoire coloniale pour enseigner, parler, transmettre une histoire pacifiée et des mémoires apaisées. Conclusion : soixante ans après les indépendances, nous sommes encore dans quelque chose de l’ordre du tectonique, du violent et du politique. Il suffit de voir les réactions du Front national et de la droite depuis 48 heures.

Le débat sur le passé colonial de la France resurgit régulièrement dans le débat politique français depuis 2005, toujours au travers de polémiques, pourquoi ?

Parce que cela reste un terreau électoral. En 2007, Nicolas Sarkozy débute sa campagne avec un discours sur la repentance. Il fait appel à travers cela au potentiel électoral des rapatriés qui, plutôt que de voter FN, pourraient voter pour la droite. D’une certaine manière, il oublie les années gaullistes en reprenant les thèses du Front national. Deuxièmement, nous sommes dans un pays où beaucoup de gens font encore le lien entre le passé colonial et le présent migratoire. Enfin, il ne faut pas oublier une chose, nous avons affaire à une gauche, socialiste, extrêmement mal à l’aise sur cette question. Pourquoi ? Parce que la gauche socialiste a été l’un des grands acteurs de la colonisation avec Jules Ferry [connu pour ses prises de position en faveur de l’expansion coloniale, NDLR], personnage tutélaire sur lequel François Hollande a placé son quinquennat, François Mitterrand, grand ministre des Colonies de la IVe République, Guy Mollet.

Nous avons une gauche qui n’ose pas parler de cette question, c’est pour cela qu’Emmanuel Macron vient de faire une révolution tectonique. À travers sa réflexion, il enterre les années Mitterrand et Guy Mollet, il tourne une page pour une partie de la gauche. La droite, de son côté, reste à camper sur une vieille vision de nostalgie coloniale, de grandeurs impériales. Pour certains, attaquer la colonisation ce serait attaquer la grandeur coloniale de la France. Cette question reste donc encore dans la violence des mémoires qui s’opposent, elle n’arrive pas à pénétrer le champ de l’histoire comme en Allemagne. Personne n’a relevé qu’il y a moins d’un an et demie, Angela Merkel avait reconnu les fautes de l’empire colonial allemand en Namibie et s’est excusée. Et c’est une femme de droite. C’est aujourd’hui devenu un débat d’historiens en Allemagne et non un débat de politique. Tant qu’il y aura des politiques capables de voter des lois comme celle de 2005, dont les deux articles 1 et 4 demandaient aux enseignants d’enseigner positivement la colonisation, nous ne sortirons pas des conflits de mémoire. Les politiques sont les premiers à les stimuler, à jouer avec et à manipuler ces mémoires du passé.

« La fracture coloniale » dont vous parliez dans un ouvrage de 2005 est donc plus que jamais d’actualité ?

On est en plein dedans. Emmanuel Macron est le premier homme politique à clairement traverser ce miroir des non-dits entre la droite et la gauche. Il ne faut pas retenir que sa première phrase sur le crime contre l’humanité, il parle aussi de la nécessité d’un regard apaisé sur ce passé. Nous ne sommes pas du tout responsables de ce que nos aînés ont fait, ceux qui sont issus de cette histoire ne sont pas non plus les descendants des indigènes. Si on continue à ne pas faire d’histoire sur cette question, certains ultras, aussi bien les radicaux jihadistes ou les amis de Dieudonné ou de Soral, continueront de manipuler l’histoire, et les gamins dans les quartiers populaires penseront que la France est une éternelle histoire d’humiliation. Il est temps de réfléchir ensemble sur cette question, que l’on sache enfin ouvrir un musée. Tant que l’Histoire n’entrera pas au musée, elle restera conflictuelle.

Auteur :  Florence RICHARD

Dernière modification : 16/02/2017

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