IWAN BAAN

Dans l’est du Sénégal, à Tambacounda, l’architecte Manuel Herz a réalisé une nouvelle aile pour les services de pédiatrie et de maternité de l’hôpital local, avec le soutien du Korsa, structure à but non lucratif créée par la Fondation Josef et Anni Albers.

Inutile de chercher dans la biographie des artistes Josef et Anni Albers une quelconque trace de voyage au Sénégal ou un lien avec l’Afrique. Pour autant, la vision artistique de ces deux figures du Bauhaus, promotrices de l’idée selon laquelle des moyens minimaux peuvent produire un résultat maximal, se retrouve aujourd’hui largement convoquée dans la démarche de l’architecte bâlois Manuel Herz avec son projet pour l’hôpital de Tambacounda. À l’origine de cette construction, le critique d’art Nicholas Fox Weber, président de la Fondation Josef et Anni Albers – qu’il a fondée avec le couple en 1971 –, est celui par lequel le déclic survient.

L’hôpital de Tambacounda, un sujet de santé

En 2004, alors qu’il effectue un voyage au Sénégal avec son ami le docteur Gilles Degois, investi dans l’ONG Kinkeliba, Weber réfléchit au sens que prendrait ici le fait de croiser l’éthique et l’esprit créatif des Albers avec des projets caritatifs. Le Korsa – « l’amour né du respect » en pulaar, dialecte parlé dans l’est du Sénégal – va ainsi voir le jour en tant qu’action philanthropique à part entière au sein de la Fondation Josef et Anni Albers, avec pour objectif d’intervenir sur des sujets de santé, d’éducation et de culture.

L’hôpital de Tambacounda tout en brique rouge.
L’hôpital de Tambacounda tout en brique rouge.Iwan Baan

Avec l’aide de dons privés, Le Korsa est à l’origine d’installations de pompes à eau, d’une assistance médicale aux personnes sans ressources, de la création d’une radio locale, de la mise en place de programmes de formation à l’agriculture, de missions de prévention pour la protection de l’environnement… En 2015, un premier projet d’envergure, le centre culturel Thread, sort de terre dans le village de Sinthian.

Générosité architecturale

Pour la conception du bâtiment, l’architecte new-yorkaise Toshiko Mori a travaillé de manière bénévole, mais plus encore dans un échange constant avec la communauté locale afin de cerner les attentes et de comprendre les usages en matière de construction. Ainsi, la toiture constituée d’un maillage végétal, qui n’est pas sans évoquer l’esthétique des tissages d’Anni Albers, permet de récolter jusqu’à 40 % des besoins en eau des villageois durant la très courte saison des pluies. En 2017, une visite à l’hôpital de Tambacounda démontre la nécessité de repenser le fonctionnement des services de maternité et de pédiatrie, qui concernent le million de personnes dépendant de la structure. Au-delà des problématiques d’ordre médical, le manque d’espace et de lits se fait cruellement sentir. Au terme d’un appel d’offres, l’architecte Manuel Herz est choisi, notamment pour sa connaissance de l’Afrique et ses expériences multiples, mais surtout pour sa posture.

Un acte collectif

Car ce n’est pas un projet de bâtiment qui retient l’attention du jury, mais bel et bien la méthodologie employée. Pour Manuel Herz, la rencontre, l’échange et l’évaluation doivent présider à toute action formelle. « Il ne s’agissait pas pour moi de livrer un projet pensé ici, en Europe, sans avoir jamais mis les pieds dans cette ville ni pris connaissance du contexte humain, climatique et technique… Selon moi, l’architecture est avant tout un acte collectif, en lien avec toutes les parties prenantes », souligne-t-il. C’est pourquoi le corps médical, les artisans et les patients vont avoir leur importance dans la conception de ce long bâtiment, plutôt étroit.

L’hôpital de Tambacounda et son tracé sinueux

Ainsi, son tracé sinueux génère une climatisation passive efficace dans les chambres qui profitent de sa distribution. En outre, le dessin d’une brique ajourée a été préconisé, là encore pour favoriser la ventilation naturelle et jouer un rôle de pare-soleil, tout en participant du mouvement même de l’édifice. « Pour la mise au point de ces briques, j’avais demandé au constructeur de réaliser un mur test. Et plutôt que de le détruire une fois les essais terminés, il a proposé que ce mur devienne la façade d’une école. N’est-ce pas formidable ? » s’enthousiasme l’architecte pour souligner qu’un projet comme celui de Tambacounda peut se révéler une source inépuisable de situations inédites, applicables en bien d’autres lieux.

> Le projet de l’hôpital de Tambacounda est présenté dans le cadre de la Biennale d’architecture de Venise, à l’Arsenal, jusqu’au 21 novembre. Plus d’informations sur les projets du Korsa sur Lekorsa.fr

>À voir aussi, l’exposition « Anni et Josef Albers, l’art et la vie », au Musée d’Art moderne de la ville de Paris, du 10 septembre 2021 au 9 janvier 2022. Mam.paris.fr

Vue aérienne de l’hôpital de Tambacounda (Sénégal).
Vue aérienne de l’hôpital de Tambacounda (Sénégal).Iwan Baan
L’originalité du dessin de cette nouvelle aile en serpentin s’explique notamment par la nécessité de favoriser une climatisation passive efficace et cruciale dans cette région chaude.
L’originalité du dessin de cette nouvelle aile en serpentin s’explique notamment par la nécessité de favoriser une climatisation passive efficace et cruciale dans cette région chaude.Iwan Baan