Cinéma : mais qui est Alain Gomis, grand prix du Jury à la Berlinale ?

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PORTRAIT. Derrière la distinction obtenue pour son film « Félicité » se cache le parcours d’un réalisateur loin d’être un long fleuve tranquille.

Alain Gomis, lors de sa remise du grand prix du Jury à la Berlinale 2017. © Berlinale.de
Alain Gomis, lors de sa remise du grand prix du Jury à la Berlinale 2017. © Berlinale.de

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Nous retrouvons le réalisateur franco-sénégalais dans un quartier populaire de la ville de Paris. Avec sa taille imposante et sa voix vibrante, Alain Gomis impressionne. Après avoir évoqué longuement son nouvel opus, Félicité, relatant la vie soudainement mouvementée d’une chanteuse de bar de Kinshasa suite à un grave accident de moto de son fils, un opus primé ce 18 février à Berlin, le réalisateur devient moins loquace quand nous abordons quelques points de son enfance.

Mais Alain Gomis confiera tout de même, sporadiquement, qu’il a toujours voulu devenir réalisateur « dès l’âge de 15 ans ». Puis livrera sans prétention avoir eu très tôt « l’impression de comprendre le langage des images ». Cette sensibilité l’amènera à pousser les portes de la prestigieuse université de la Sorbonne après avoir étudié l’histoire de l’art. Il y obtiendra une maîtrise d’études cinématographiques. Voici pour la formation classique. Pour le reste, Alain Gomis commencera à se détacher du programme académique de cette institution d’élite. Car le jeune homme choisit en effet d’animer des ateliers vidéo pour la ville de Nanterre, en banlieue parisienne. Là, il réalise ses premiers reportages sur le thème de l’immigration, déjà cher à ses yeux. Une aubaine pour le jeune réalisateur : « J’ai fait les bonnes rencontres au bon moment. Parce que je ne venais pas du tout de ce milieu-là, je suis plutôt issu d’une famille ouvrière », lâche-t-il, pudiquement.

Des premiers courts-métrages à L’Afrance

1996 : premier sursaut. À tout juste 24 ans, Alain Gomis dévoile son premier court-métrage Caramels et chocolats. Suivront Tout le monde peut se tromper puis Tourbillons en 1999. Très vite, le jeune cinéaste commence à se faire remarquer des festivals. Deux ans plus tard, Alain Gomis passe à la vitesse supérieure avec son premier long métrage : L’Afrance.

Il y est question d’un jeune étudiant qui fait ses études à Paris pour ensuite retourner vivre chez lui au Sénégal. Arrêté par la police faute de carte de séjour en règle, El Hadj connaît la rudesse d’un centre de rétention. À sa sortie, le jeune homme s’interrogera sur l’utilité de faire un mariage blanc pour finir sa thèse en France ou d’écourter son séjour afin de rentrer au pays plus tôt.

C’est à ce moment-là que le grand public découvre l’attachement du réalisateur pour l’Afrique et le Sénégal en particulier. Né d’un père sénégalais et d’une mère française, Alain Gomis, dont les origines sont également bissau-guinéennes, a nourri une relation spéciale avec l’Afrique : « Je suis né en France, j’ai grandi en région parisienne. Dans un premier temps, l’Afrique était pour moi l’Afrique en France, avec mes oncles, mes tantes, avec une communauté, en tout cas manjak, qui était beaucoup plus soudée que maintenant. »

Puis cette Afrique en miniature devient progressivement l’Afrique grandeur nature, la vraie… « Au fur et à mesure, je me suis rendu au Sénégal de plus en plus souvent. Et j’ai fini par m’y installer. Maintenant j’y passe la moitié de mon temps, bien que j’habite à nouveau à Paris », raconte-t-il dans un sourire discret mais sincère.

Cet Ailleurs si loin, si proche…

Ce partage entre deux continents, sa condition d’homme métis « ne ressemblant ni à son père, ni à sa mère », cette « étrangeté à soi-même », l’amènent à s’interroger quasi en permanence sur son identité profonde et sur cette géographie duelle, sur cet Ailleurs si loin et si proche en même temps :

« En grandissant, je découvre avec d’autres gens aussi, qu’il y a ces mouvements, il y a ces drôles de créatures que nous sommes, la diaspora… J’ai une vie sur les deux continents et de façon très concrète, c’est-à-dire qu’il y a des gens qui sont de ma famille et ma famille. Cela signifie très simplement, que j’ai une maison à gérer sur les deux continents. Avec tout ce que cela suppose. Et on est de plus en plus nombreux dans ces rapports-là.(…) Tu as un de tes parents qui décède, tu l’enterres là-bas. Donc il y a un lien à une terre, à un endroit, à une tradition, qui est ailleurs. Du coup, il y a quelque chose de très intéressant qui est en train de se dessiner, quelle est cette géographie pour ces gens-là ? Elle est multiple. Si tu vas au cimetière, c’est peut-être à 5 000 kilomètres de là où tu habites. Je suis fasciné par cette façon de se déterritorialiser et en même temps de se reterritorialiser de façon très concrète à certains endroits », explique t-il avec ses yeux baignés de lumière.

Et d’ajouter : « Il y a des endroits du rêve. (…) C’est arrivé à beaucoup de gens de ma génération qui rêvaient plus sur les États-unis. Bizarrement, il y a un territoire de la famille ou de la référence, un territoire du social ou du travail, un territoire de rêves qui est un autre continent encore. C’est quoi ces créatures que nous sommes là ? Cette population-là, j’aimerais bien m’y engouffrer, faire un film. Je trouve cela passionnant. » La diaspora et ses mouvements géographiques, comme thème de son prochain film ? L’idée le séduit mais il n’en dira pas plus.

En revanche, au fil de la conversation, nous comprenons désormais pourquoi Alain Gomis ne se dévoile pas davantage sur sa vie personnelle, c’est qu’elle s’invite parfois dans ses œuvres, comme des fragments de vie.

Ses films, comme fragments de sa vie

Ainsi, le scénario de L’Afrance s’inspire-t-il de son expérience personnelle. C’est en effet un membre de sa famille ayant séjourné en centre de rétention qui est en partie à l’origine du film. Tout comme Félicité, ce sont des femmes fortes proches de son entourage qui ont donné corps à ce nouveau personnage éponyme, ajouté au fait qu’un de ses jeunes cousins a dû être amputé à la suite d’une mauvaise opération. Un parallèle évident avec Samo, le fils de l’héroïne.

Par conséquent, comprendre la vie de ses personnages revient à comprendre celle d’Alain Gomis. Le cinéaste ira jusqu’à dire qu’il se « sentait proche de ses personnages masculins ». Donc d’El Hadj de L’Afrance… Mais également de Yacine d’Andalucia, son deuxième long-métrage, sorti en 2007. Cette fiction dramatique met en scène un jeune homme qui vivote de petits boulots et dort de façon plutôt marginale dans une caravane. En croisant la route d’un ancien ami, Yacine accède au cinéma par la petite porte en devenant figurant. Il aspire désormais à une ascension sociale mais pour cela il devra affronter son passé et certaines de ses angoisses qui l’empêchent d’avancer. L’environnement de Yacine représente un monde tellement soumis aux rêves que tout en devient presque réel.

Puis le réalisateur se reconnaît donc aussi en Satché de Tey. Dont voici le synopsis ; dans un Dakar joyeux, festif, coloré, Satché a été choisi pour mourir. Aujourd’hui. Il ne peut rien y changer. Satché décide donc de vivre sa dernière journée comme jamais…

À l’évidence, tous les films d’Alain Gomis ont ceci en commun ; « cette dialectique entre lutte et acceptation ». « Il faut à la fois s’aimer et lutter. C’est un dialogue permanent dans ma vie. Il ne faut pas que la lutte se transforme en détestation de soi. Et il ne faut pas non plus que l’acceptation se transforme en acceptation de l’inacceptable », professe-t-il. Avant de souligner après un silence : « Le fait de subir absolument… Le cinéma est vraiment à la frontière de cela. Parce qu’il y a un côté où on peut reprocher et dire : il faut montrer des belles choses, arrêter de montrer les problèmes etc., et en même temps, il faut pouvoir les affronter pour les accepter, et pour que les gens se mettent en marche et en lutte. »

Un cinéma par petites touches

Une manière de refuser de subir. On découvre ainsi dans l’ensemble de son œuvre cinématographique des personnages d’une belle verticalité entonnant cet appel intense à vivre. Quoi qu’il en coûte.

De fait, on a l’impression que le cinéma d’Alain Gomis se façonne posément par petites touches. Un cinéma audacieux témoignant de nouvelles réalités et narrations à grand renfort d’images qui transpirent la dureté mais aussi la vie, la joie, l’amour. Un cinéma d’une résistance tranquille, intelligente allant jusqu’au militantisme par l’image. Comme une quête ambitieuse et permanente d’un certain renouveau. Dans Félicité, n’entendons-nous pas l’orchestre philharmonique de Kinshasa jouer le Frats d’Arvo Pärt ? Magique. Et surtout, n’assistons-nous pas aux marches répétées de ces personnages, dévalant à travers les rues de Dakar, Paris, Kinshasa, comme une volonté profonde « d’exister » ?

Ce besoin organique de briser et de bousculer les codes visuels qu’on a l’habitude de voir, Alain Gomis y travaille avec minutie. Et cela fonctionne. Seul film africain en compétition à la 67e édition de la Berlinale, Félicité a été récompensé de l’Ours d’argent. À la tribune du festival berlinois, le réalisateur n’en oublie pas ses revendications. « Justice pour Théo », clame-t-il, en écho à l’affaire qui met en émoi les banlieues françaises, avant de scander : « C’est un film sur nous, le peuple, nous sommes beaux, nous pouvons aimer ce que nous sommes. » Lors de la remise du prix, le réalisateur en profitera aussi pour dresser ce constat amer : « Je vois arriver une génération de réalisateurs qui n’a jamais été au cinéma car il n’y a plus de cinémas en Afrique », et pour lancer un appel au soutien financier du cinéma africain.

Sur le tapis rouge, le réalisateur Alain Gomis en compagnie de l'actrice Vero Tshanda Beya, et les acteurs Papi Mpaka et Gaetan Claudia, à la Berlinale le 11 février 2017
Sur le tapis rouge, le réalisateur Alain Gomis en compagnie de l’actrice Vero Tshanda Beya, et les acteurs Papi Mpaka et Gaetan Claudia, à la Berlinale le 11 février 2017. © Jrg Carstensen / DPA / dpa Picture-Alliance/AFP

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source : Le Point Afrique

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