La Chine a choyé un dirigeant plus conciliant que la présidente de la commission européenne, dans l’espoir que l’UE n’adopte pas la ligne dure des Etats-Unis face à Pékin.
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Xi Jinping a déroulé le tapis rouge pour Emmanuel Macron pendant trois jours, allant même jusqu’à l’inviter à une cérémonie du thé, sans cravate, face à un lac entouré de végétation tropicale, dans la résidence du gouverneur de la province du Guangdong, à Canton – un lieu où a vécu le père de l’actuel leader chinois quand il occupait ce poste de 1978 à 1981. « Je suis très heureux que nous partagions de nombreux points de vue identiques ou similaires sur les questions sino-françaises, sino-européennes, internationales et régionales », a déclaré Xi Jinping à son invité. Rarement, aussi, la presse officielle aura été si élogieuse pour un chef d’Etat occidental.
Il était certes utile de renouer les liens avec la deuxième puissance économique mondiale après trois ans d’épidémie de Covid-19 qui avaient conduit le géant asiatique à se couper du monde. Avec son volontarisme habituel, Emmanuel Macron, qui misait sur ses longues heures de discussion avec son hôte, espérait faire bouger les positions chinoises sur la guerre en Ukraine. L’objectif était de le convaincre de ne pas « basculer dans le camp de la guerre », en livrant des armes à la Russie, avait expliqué ses conseillers. L’Elysée voulait aussi faire passer des messages à la Chine, afin qu’elle puisse contribuer à une solution dans le cas où un espace de négociation s’ouvrirait un jour. L’avenir dira si ce séjour aura facilité les choses.
Unité européenne mise à mal
Pour l’heure, Emmanuel Macron est rentré bredouille de son voyage. Le dirigeant français n’a obtenu aucun engagement concret de son homologue, qui n’a toujours pas condamné l’invasion russe. Xi Jinping a, en revanche, réaffirmé que, dans cette guerre, toutes les parties avaient « des inquiétudes de sécurité raisonnables ». Cette inflexibilité était prévisible : Xi s’est rendu le mois dernier à Moscou pour consolider ses liens avec son « ami » Vladimir Poutine et s’afficher clairement dans le camp antioccidental. Il n’y avait aucune raison pour qu’il change sa ligne stratégique du jour au lendemain, malgré l’offensive de charme d’Emmanuel Macron.
L’unité européenne n’est pas non plus sortie renforcée de cette visite, au contraire. C’était pourtant l’objectif d’Emmanuel Macron, en conviant Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, à l’accompagner pour une partie du voyage. Tout l’enjeu, pour que cette stratégie soit efficace, était de faire preuve de cohérence dans les discours. Mais c’est surtout la différence de ton entre les deux dirigeants européens, qu’ont relevée les Chinois. Emmanuel Macron, qui veut se distancier de l’approche jugée « confrontationnelle » des Etats-Unis, est apparu nettement plus conciliant qu’Ursula von der Leyen. Celle-ci avait prononcé un discours sans concession avant son départ, dénonçant le « durcissement très délibéré de la position stratégique globale de la Chine » et a continué à hausser le ton une fois sur le sol chinois. Si Pékin fournissait des armes à Moscou, « cela nuirait considérablement à la relation entre l’Union européenne et la Chine », a-t-elle martelé. Emmanuel Macron a, lui, préféré saluer le plan de paix en 12 points présenté par la Chine – rejeté par l’Ukraine et la plupart des pays occidentaux – et appeler Pékin à jouer un rôle de médiateur dans ce conflit. Tout en refusant l' »engrenage de tensions croissantes » entre la Chine et l’Occident.
Autre point de divergence notable, alors que la présidente de la Commission avait insisté sur la nécessité de « réduction des risques » vis-à-vis de Pékin, Emmanuel Macron, qui était accompagné par une cinquantaine de chefs d’entreprise, n’a pas repris cette idée. Et a semblé surtout préoccupé par le fait de consolider ses liens économiques avec Pékin.
Le régime chinois, qui aime cultiver les relations bilatérales avec des pays européens afin d’exercer une plus grande influence sur eux, n’a pas manqué d’exploiter ces différences et de montrer clairement sa préférence. Emmanuel Macron a été reçu avec tout le faste d’une visite d’Etat, contrairement à Ursula von der Leyen, qui, n’étant pas à la tête d’un pays, a fait l’objet d’un protocole beaucoup plus sommaire et n’a pas été convié aux étapes du programme les plus privées.
Pour Xi Jinping, qui cherche à éviter que l’Europe ne s’arrime sur les positions américaines vis-à-vis de Pékin, le mantra de Macron sur « l’autonomie stratégique » de l’Europe face à la Chine est une aubaine. « Xi Jinping voit en Macron un allié dans ses efforts pour creuser un fossé entre l’UE et les Etats-Unis, et pour s’opposer à ceux qui, en Europe, prônent une ligne plus dure vis-à-vis de Pékin », note Noah Barkin, analyste au sein du groupe Rhodium.
« La Chine et la France doivent continuer à s’opposer à la mentalité de guerre froide et à la confrontation de blocs », a insisté le président chinois, suivi à l’unisson par la presse officielle. « Aujourd’hui, à l’heure où la division et même la confrontation se profilent à l’horizon, la valeur de l’amitié entre la Chine et la France est encore plus grande », a renchéri le quotidien nationaliste Global Times, affilié au parti communiste chinois. Et d’ajouter : « il est clair pour tout le monde qu’être un vassal stratégique de Washington est une impasse. Faire de la relation sino-française un pont pour la coopération sino-européenne est bénéfique pour les deux côtés et au monde ».
L’attitude de Macron a Pékin n’aura pas manqué d’agacer Washington, au moment où les tensions sino-américaines sont extrêmement vives, les Etats-Unis considérant la Chine comme sa principale menace stratégique. La déclaration conjointe entre la Paris et Pékin, à l’issue de la visite, n’arrangera rien : elle mentionne un « partenariat global stratégique » (aux contours certes flous) et la vision d’un « monde multipolaire » – ce que Washington ne manquera pas d’interpréter comme le souhait d’un monde non dominé par les Etats-Unis.
Le locataire de l’Elysée s’est par ailleurs montré discret publiquement sur le dossier de Taïwan, l’un des principaux sujets de discorde entre les deux superpuissances mondiales, et alors que la pression militaire chinoise ne cesse de s’accroître sur l’île. « Je ne suis ni Taïwan ni les Etats-Unis d’Amérique. En bon stoïcien, je ne peux m’occuper que de ce qui dépend de moi », s’est-il justifié auprès des journalistes.
« A l’heure où les Etats-Unis et la Chine se parlent à peine, l’Europe peut jouer un rôle important en faisant passer des messages importants à Pékin, notamment sur l’Ukraine, souligne l’analyste Noah Barkin. Mais elle doit le faire à partir d’une position d’unité et de force. Cela signifie qu’il faut envoyer des messages communs, utiliser efficacement l’influence économique de l’Europe et ne pas confondre flatterie et résultats. » Selon lui, les inquiétudes des États-Unis concernant les divisions européennes sur la politique chinoise n’auront fait que croître après ce voyage.