L’ex-procureure qui a poursuivi François Fillon sème le doute

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Devant la commission de l’Assemblée nationale, Éliane Houlette a déclaré que le parquet général s’était ingéré dans l’action publique au moment de l’affaire Fillon.
Devant la commission de l’Assemblée nationale, Éliane Houlette a déclaré que le parquet général s’était ingéré dans l’action publique au moment de l’affaire Fillon. Jacques Witt/SIPA/Jacques Witt/SIPA

De «très, très nombreuses demandes» du parquet général qui s’ingérait «au quotidien dans l’action publique». Elles étaient «d’un degré de précision ahurissante […] Je les ai ressenties comme une énorme pression». Rarement un ex-haut magistrat a autant étalé ses états d’âme qu’Éliane Houlette, entendue le 10 juin dernier par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale consacrée aux«obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire». Elle évoquait la façon dont elle a vécu l’affaire qui précipita la chute de François Fillon, lors de la dernière élection présidentielle. C’est elle, en tant que procureur national financier, de 2014 à 2019, qui déclencha les poursuites contre l’ancien candidat de la droite.

Son audition devant les parlementaires exhale un parfum de règlements de comptes. L’ex-patronne du parquet national financier (PNF), aujourd’hui à la retraite, charge le parquet général d’alors, tenu par Catherine Champrenault, une proche de Ségolène Royal dont la nomination fut pilotée personnellement par François Hollande. La création du PNF en 2014, au détour de l’affaire Cahuzac, avait été perçue par quelques connaisseurs comme la mise en place d’une machine de guerre judiciaire. Les étranges confidences de l’ex-procureur Houlette laissent à penser qu’il n’y avait pas besoin de «cabinet noir». À l’entendre, le pouvoir savait en temps réel et décidait de tout.

«Un contrôle très étroit»

Qui était ministre de la Justice? Le socialiste Jean-Jacques Urvoas, condamné depuis par la Cour de justice de la République (CJR), dans une autre affaire, où son appétit pour les enquêtes en cours l’a conduit à transmettre imprudemment des informations à un député ami. Le directeur des Affaires criminelles et des grâces (DACG) de l’époque, poste clé, était Robert Gelli, qui fit son service militaire avec Hollande, dit ne pas être son ami, et vient d’être bombardé ministre de la Justice de Monaco.

On ne peut que se poser des questions. C’est un contrôle très étroit…

Éliane Houlette, ancienne patronne du parquet national financier

C’est donc surtout «la pression du parquet général» qui a marqué Éliane Houlette durant l’affaire Fillon. Il voulait des «remontées d’informations» le plus vite possible sur les derniers actes d’investigation, des demandes qui lui étaient parfois adressées pour «les actes de la veille», et qu’elle devait synthétiser «avant 11 heures le lendemain».

«Les demandes de précisions, de chronologie générale – tout ça à deux ou trois jours d’intervalle -, les demandes d’éléments sur les auditions, les demandes de notes des conseils des mis en cause… Les rapports que j’ai adressés, je les ai relus (…). Il y a des rapports qui étaient circonstanciés, qui faisaient dix pages, précis, clairs, voilà», a soutenu l’ex-magistrate devant les députés interloqués. Et d’ajouter: «On ne peut que se poser des questions. C’est un contrôle très étroit…».

Un pavé dans la mare

Que n’a-t-elle protesté publiquement à l’époque? Car enfin, ce qu’elle déclare laisse presque sans voix. Elle parle d’une réunion lors de laquelle on lui aurait demandé d’ouvrir une information judiciaire contre François Fillon, alors que les investigations avaient lieu jusque-là dans le cadre d’une enquête préliminaire. Le 15 février 2017, à Paris, elle a déféré à l’invitation. «J’ai été convoquée au parquet général – j’y suis allée avec trois de mes collègues, d’ailleurs – parce que le choix procédural que j’avais adopté ne convenait pas. On m’engageait à changer de voie procédurale, c’est-à-dire à ouvrir une information judiciaire. J’ai reçu une dépêche du procureur général en ce sens», a-t-elle dit devant les députés. Elle avoue avoir finalement été elle-même convaincue qu’il fallait ouvrir une information judiciaire, ce qu’elle fera le 24 février 2017. Puis un nouveau désaccord éclatera quant aux termes du communiqué de presse. On y désignait François Fillon quasiment comme coupable.

Le parquet général en prend pour son grade: «Je n’ai pas eu le sentiment que nous faisions cause commune», assène-t-elle. Avait-on le droit de lui forcer la main ainsi? Ignore- t-elle, de son côté, qu’elle fait ces déclarations à quelques jours du jugement qui doit tomber, le 29 juin, en principe, dans l’affaire Fillon? C’est en tout cas jeter un sacré pavé dans la mare. Dernière touche au tableau: Éliane Houlette doit elle-même répondre de possibles indiscrétions dans un autre dossier qui a justifié l’ouverture récente d’une enquête préliminaire du parquet de Paris pour «violation du secret de l’enquête».

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