Vera Songwe (CEA) : «Le vrai New Deal pour l’Afrique, c’est la ZLECAF»

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Vera SONGWE - Secrétaire exécutive de la Commission Économique pour l'Afrique
Vera SONGWE – Secrétaire exécutive de la Commission Économique pour l’Afrique

L’économiste camerounaise, secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), appelle la communauté internationale à accélérer sur le financement de la relance africaine et le continent à booster sa zone de libre-échange.

Dette, relance économique, vaccins contre le Covid-19, commerce intra-africain… La patronne de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), institution panafricaine rattachée à l’Organisation des Nations Unies (ONU), est de toutes les discussions continentales.

Après vingt ans au sein de la Banque mondiale (BM), l’économiste camerounaise formée aux États-Unis et en Belgique, a succédé en 2017 au Bissau-guinéen Carlos Lopes à la tête de la CEA. Moins clivante que son prédécesseur, connu pour ses prises de positions multiples et hétérodoxes sur les relations économiques entre l’Afrique et ses partenaires, Vera Songwe n’en a pas moins imprimé sa marque. Née à Nairobi au Kenya mais ayant grandi dans la région anglophone du Nord-Ouest du Cameroun, la quinquagénaire a placé la lutte contre la pauvreté autant que la fiscalité au cœur du développement du continent.

Super-négociatrice sur la dette de l’Union africaine – aux côtés du Franco-Ivoirien Tidjane Thiam, de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, du Rwandais Donald Kaberuka, du Sud-Africain Trevor Manuel et de l’Algérien Abderrahmane Benkhalfa, elle est aussi consultée par le Conseil sur l’économie de la santé pour tous de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Pour Jeune Afrique, elle détaille depuis Addis-Abeba les enjeux de la reprise économique du continent, pariant plus que jamais sur le rôle moteur de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

Jeune Afrique : Mi-mai, le sommet sur le financement des économies africaines a acté l’utilisation d’un double mécanisme pour apporter de l’argent frais au continent. À savoir : une nouvelle émission de droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI) et une réallocation d’une partie de ces droits des pays développés vers le continent. Depuis, on a l’impression que le processus cale. Où en est-on ?

Vera Songwe : Concernant la nouvelle émission de DTS du FMI, j’aimerais moi aussi voir les choses avancer plus vite. Je rappelle que c’est une idée que la CEA et nombre de personnalités africaines défendent depuis mars 2020. Alors que la précédente administration américaine n’y était pas favorable, l’actuelle y souscrit et le G7 aussi. On parle d’un montant de 650 milliards de dollars et les quote-part de chacun sont connues – 71 milliards pour les États-Unis, 32 pour la Chine, 31 pour la France et autant pour l’Allemagne, 33 pour l’Afrique. Il n’y a pas de raison de tarder davantage…

Pour revenir sur le deuxième volet, la réallocation des DTS en faveur du continent, seuls la France et le Portugal ont pour l’heure annoncé leur participation. Vous y croyez ?

Il le faut et nous y travaillons. Ce mécanisme a déjà été utilisé par le passé, notamment pour abonder un dispositif du FMI à destination des pays à faible revenu, le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance. C’est un excellent moyen pour l’Afrique, qui a besoin de financer sa reprise post-Covid, de bénéficier de prêts en utilisant des fonds en provenance de pays développés qui ont, eux, déjà amorcé leur relance via des émissions de leur banque centrale et n’ont donc pas besoin des DTS. Ce sera l’une des grandes discussions de 2022.

« Il n’y a pas que les dettes chinoises qui soient discutables

Autre sujet de négociations au long cours, la dette africaine. Alors qu’un cadre commun a été adopté pour la restructuration des créances publiques, on attend toujours des avancées sur le traitement de l’endettement contracté auprès du secteur privé. Quel est l’enjeu pour le continent ?

Ces créances privées, qui comptent pour 40% de la dette africaine, se présentent principalement sous la forme d’eurobonds et de crédits à l’export octroyés par des banques commerciales. Ces dettes sont calibrées de façon différente d’un créancier à l’autre, d’un débiteur à l’autre. Il faut davantage de transparence si on veut pouvoir les traiter de façon globale. Cet exercice doit conduire chaque pays à passer en revue ses créances et à revoir les conditions de certains contrats, trop onéreux, qui ne sont pas acceptables.

Vous faites référence à la dette chinoise souvent critiquée pour son opacité ?

Pas seulement. Il y a aussi des dettes françaises, anglaises, et d’autres nationalités encore, qui sont discutables – même si, en volume, elles demeurent plus modestes que les créances chinoises. Il est encore très difficile d’établir une totale traçabilité de la dette des acteurs issus de l’OCDE, par exemple.

L’enjeu n’est pas de désigner des bouc-émissaires mais bien d’assurer la plus grande transparence possible. Sur ce point, la Banque mondiale (BM) et le FMI montrent l’exemple, la première en ayant créé une plateforme dédiée, le second en publiant régulièrement des données sur le sujet.

« Ces grands pays du continent pourraient être tentés par le dumping

La CEA est aussi très engagée en faveur du commerce africain et intra-africain. Quel a été l’impact de la pandémie sur les échanges ?

Sans surprise, la pandémie a eu un impact négatif sur les exportations du continent. Après avoir fortement reculé, elles n’ont toujours pas repris leur rythme d’avant la crise, à l’opposé de ce que l’on observe en Chine et aux États-Unis. En revanche, l’effet sur le commerce intra-africain semble avoir été positif, avec une hausse des échanges liée au resserrement géographique des chaînes de valeur.

La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est entrée en vigueur en début d’année dans un contexte des plus difficiles, en pleine période de pandémie et de fermeture de frontières. Quel bilan tirez-vous de ses premiers mois d’existence ?

On ne peut que féliciter les chefs d’État et de gouvernement pour leur ténacité surtout dans un environnement aussi compliqué. Malgré les difficultés créées par le Covid-19, les négociations se sont poursuivies et nous sommes parvenus à un accord sur les règles d’origine dans des secteurs où il y avait des réticences, dont la pêche, l’automobile et le textile.

En parallèle, 86% des lignes tarifaires ont été approuvées (pour un objectif de 90%), correspondant au groupe principal de barrières douanières à abolir. Il y a aussi eu des progrès dans l’harmonisation des services de douane transfrontaliers quand les initiatives pour produire localement des vaccins favorisent les échanges locaux.

L’un des points qui restent à régler concerne les grands acteurs économiques du continent – l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc – qui, produisant nombre de biens à moindre coût que leurs voisins, pourraient être tentés par le dumping.

Quel rôle est censé jouer la Zlecaf dans la relance économique ?

On entend parler de plan Marshall, de New Deal pour le continent, etc. En réalité, notre recette pour la sortie de crise et même notre plan de développement à quinze ans, c’est la Zlecaf ! C’est la clé de l’essor du commerce intra-régional et d’une croissance verte, mais aussi des infrastructures, des nouvelles technologies, de la logistique et des échanges. C’est elle qui va permettre de créer des « Amazon » partout sur le continent.

source : Jeune Afrique

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